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de 1650 à 1750, la moitié à peine possède actuellement des descendans ; sur cette moitié, quelques-unes ne sont représentées que par 5 ou 6 successeurs. De sorte qu’en réalité l’ensemble des animaux de race pure, aujourd’hui notables, remontent dans la ligne utérine à une vingtaine d’aïeules seulement, dont une a été la tige d’où sont sortis 1 231 produits estimés, présentement vivans. Le nombre des étalons, auteurs de branches dignes d’être citées, est plus restreint encore : les vainqueurs de courses, durant les dernières années, se rattachent tous à Herod, Matchem ou Eclipse, et du sang de ce dernier sont issus, en France, 58 pour 100, en Allemagne et Autriche 46 pour 100, en Angleterre 88 pour 100, des types insignes qui ont remporté, de 1878 à 1897, les lauriers classiques.

Les théories, les statistiques et les méthodes qui tentent de dérober à la nature le secret des races montrent quels efforts fait l’élevage contemporain pour restreindre la part de l’inconnu. Ces recherches subtiles n’ont pas, comme un certain public serait porté à le croire, l’objectif final de fournir, à la cohue grouillante des badauds, l’occasion d’aventurer une pièce de cent sous. Il n’en est pas moins vrai que, si le pur-sang est la plus belle conquête du sportsman, le joueur est la plus évidente conquête du pur-sang. Ainsi appuyée sur l’agriculture d’un côté et sur le pari mutuel de l’autre, l’institution des courses, qui n’aurait pu parvenir à développer les muscles des chevaux si elle n’était parvenue à surexciter aussi les nerfs des hommes, a vu depuis soixante ans grandir sa vogue presque sans arrêt.

Elle a cette fortune rare d’être le divertissement le plus populaire à la fois et le plus élégant : aux temps lointains de la chevalerie, où la profession des armes, qui était le sport d’alors, avait tant de prestige qu’elle anoblissait par elle-même tous ceux indistinctement qui s’y adonnaient, la classe dirigeante se composait de guerriers, et de guerriers à cheval. Le cheval, en notre ère de paix et d’automobiles, où les gros personnages d’Etat ne sont plus équestres, conserve quelque peu du prestige de ceux qui naguère le montaient, et des prouesses auxquelles il fut associé. Il communique, à qui le fréquente et lui consacre sa vie, ce billon de noblesse de nos âges plébéiens qui s’appelle le « chic. » Au sein de la république, il a conservé des privilèges ; sa dignité se retrouve partout acceptée par l’opinion ; elle a main- tenu parmi le militaire, entre le cavalier et le fantassin du