Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 154.djvu/541

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

menacés d’une pareille faveur. À ce propos, il me dit ceci : « Vous pouvez être décoré, vous, mais pas moi : je suis une protestation ! »

Je ne parlerai pas du triste rôle qu’il a joué pendant la Commune. C’est toujours cette même vanité qui l’y a entraîné. Ses succès d’artiste ne lui suffisaient plus. Ils étaient d’ailleurs singulièrement en baisse depuis son fameux Piqueur achevant un Cerf et ses Curés revenant de la Conférence, toiles grotesques et nulles comme peinture.

Tel est l’homme qui a gâché les plus beaux dons par je ne sais quelle suffisance de parvenu, préférant les satisfactions vaniteuses immédiates à la vraie gloire que peut seule donner un travail opiniâtre et suivi, quelque aptitude qu’on puisse avoir. C’est pourquoi, malgré les très beaux morceaux qui consacrent sa mémoire, il n’excitera jamais qu’une admiration relative.

Autant Couture et Courbet avaient de jactance, autant Daubigny, qui, lui, débuta par une note moderne dans un paysage sans prétention, était discret et modeste. Ce Parisien, fils de Parisien, et, chose curieuse, doué d’un sentiment très agreste, fut toute sa vie animé d’un très tendre et vif amour de la nature simple. Il était resté naïf comme un enfant. Illettré, les mots lui manquaient pour exprimer l’enthousiasme de son âme, et il s’épanchait en exclamations courtes. Mais son éloquent pinceau disait bien toute la puissance et la saveur de son inspiration. Son premier succès en peinture, et qui a dû le surprendre, tant il y apportait peu de prétention, lui est venu à propos d’un paysage de moisson. Il s’était auparavant annoncé, dans un cercle restreint, par quelques eaux-fortes délicieuses qui illustrent des chants populaires : Ma tendre Musette, le Point du Jour et autres pastorales. Ces gravures ont été, vers 1840, l’un des plus chers régals de mes yeux. Elles charmèrent ma seconde enfance. Le croirait-on ? elles ont dans leur pure ingénuité comme un sentiment du XVIIIe siècle, le maniérisme de l’innocence, très sincère ici, mais qui les allie admirablement aux vers et à la musique qu’elles accompagnent. O ma tendre Musette : comme cette humble et touchante merveille de Monsigny, faite de rien, a dû attendrir lame candide du jeune graveur qui en a si justement exprimé le charme doux comme la mélancolie jalouse d’un ange rustique. C’était toujours cette élégante naïveté que l’on retrouvait dans sa moisson.