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rien à révolutionner sortit d’une brasserie obscure de la rue Hautefeuille. En vérité, celui qui le poussa n’en comprit guère la signification ; il lui fut soufflé par les philosophes et les littérateurs qui l’entouraient : Proudhon, Jean Journet l’apôtre, Champfleury le romancier, et le critique Castagnary. Le mot réalisme convenait parfaitement aux romans de Champfleury ; mais Berlioz ne protesta pas lorsqu’on s’en servit pour désigner le caractère de ses chefs-d’œuvre dantesques. Oui ! Berlioz était du cénacle ! Que ne font pas les incompris pour sortir d’une injuste obscurité ! Son tragique et fulgurant génie se laissa infliger cette enseigne !

Le mot réalisme convenait-il mieux à celui qui s’en déclara lui-même le messie ? Était-il un réaliste dans toute la rigueur du terme ? Non ! Il ne soupçonna jamais l’ampleur poignante du musicien ; vulgaire, trivial, ignorant, il fut tout cela trop souvent ; mais ce qui restera de lui contient une expression et une saveur particulières et n’est pas d’une machinale imitation. Son œuvre a un côté personnel. Eh bien ! voyez la pénétration du critique d’art qui l’a le plus vanté ; ce sont ses morceaux les plus personnels que Castagnary va proposer aux subjectivistes qu’il combat, pour leur démontrer qu’ils devraient être impersonnels, c’est-à-dire objectivistes.

On trouvera d’ailleurs étrange que le peintre qui se proclama l’initiateur de l’art nouveau n’eût encore étudié jusque-là, que dans les musées. Courbet, il faut enfin l’appeler par son nom, n’était pas d’ailleurs un homme ordinaire ; loin de là. Il avait d’admirables dons de nature, ce bourgeois-campagnard madré et naïf à la fois, plus naïf qu’il ne le croyait lui-même, lorsqu’il souriait dans sa barbe luxuriante ; car il fut toujours le jouet de son entourage. A ce vainqueur, à ce vert hâbleur, on fit faire toutes les folies. Mais sa malice lui fit parfois tirer parti même des sottises. Son immense vanité fut son génie. Elle s’imposa et le jeta dans des aventures où, à côté des chutes grotesques, il eut de magnifiques réussites. Ce n’est pas sans raison qu’il dit un jour de Castagnary : « Ce garçon-là a raison de faire mon éloge, ça le fait connaître ! »

Physiquement, pour ceux qui l’ont vu dans sa jeunesse, la bonne fée qui dut être sa marraine l’avait favorisé d’un charme singulier. Robuste et de haute taille, le cou fort, le poil brillant et souple, le front bas et simple de plans, les yeux de belle agate, des yeux de taureau admirablement enchâssés, le nez droit, le