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bien qu’on s’en promettait ? Y eut-il déception ? Il me serait difficile de le dire. Toutefois, le bruit et la discussion qui entourèrent l’Orgie romaine firent déjà grand honneur au peintre. Depuis longtemps on n’avait vu une tentative de cette importance. Qu’éprouvai-je lorsque j’accourus au milieu d’une foule pressée, au-dessus de laquelle je n’aperçus d’abord que la partie supérieure du tableau ? J’ai gardé le souvenir d’une impression un peu trouble, comme si je me trouvais devant une grande tapisserie déteinte ; quelque chose de poudreux et vert-de-grisé, un immense éventail Pompadour qu’on aurait laissé traîner un demi-siècle dans un grenier. Je dois dire que j’étais nouvellement arrivé à Paris, venu d’Anvers où j’avais copié des Rubens, et habitué mes yeux aux ardeurs flamboyantes de la nouvelle école flamande.

Lorsque je revois cette œuvre importante au Louvre, où elle est fort délaissée par les fervens de l’art, je retrouve encore son apparent brio bien froid, plein de belles résolutions manquant de persévérance, de grands élans qui n’atteignent pas le but. Des parties principales ont été manquées, puis grattées au couteau et laissées en cet état de hasard qui singe l’adresse et la facilité et qui, au fond, pourrait bien n’être que l’escamotage de l’impuissance. Peu de formes, peu de tons vraiment voulus. Partout le même procédé d’aventure et d’effacement harmonise des couleurs trop crues d’abord, leur laissant un aspect fripé sans grande finesse. Son dessin prétendu inspiré de l’antique est très frivole. Ses Romaines sont des lorettes. Et pourtant il serait injuste de ne pas reconnaître dans ce tableau un grand talent dévoyé. Comme le charmant Fauconnier convenait mieux au tempérament de Couture !

Mais, bon et jovial garçon, ne doutant de rien, il se croyait le premier peintre des temps modernes. Il l’assurait lui-même avec une éloquence triviale et persuasive qui associait son entourage à cette très haute opinion de sa personne. C’est là le secret de beaucoup de grands succès qui tombent avec ceux qui en ont été l’objet. Celui qui doute de soi fait aussi passer le doute chez les autres. Il eut un atelier très couru, surtout par les amateurs de trucs. Ils y apprirent à ébaucher les chairs très blanches et à les fouetter habilement de garance.

Si l’Orgie romaine n’eut qu’une exécution incomplète, diverses œuvres du maître s’arrêtèrent à la première ébauche. Elles n’en