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Hébert, à qui il l’a communiquée, ne purent faire atténuer : « Je remercie Sa Majesté du grand honneur qu’elle me fait en m’offrant une magnifique commande ; mais j’ai juré de ne jamais rien faire pour un gouvernement que je combats. »

Il savait aussi résister à ses préférences de cœur, par un sentiment de justice. Depuis très peu de temps à l’atelier de Delaroche, venu très jeune à Paris pour y faire son droit, et récemment inscrit comme avocat, Hébert connaissait à peine le maître. Celui-ci avait alors deux élèves préférés : Thomas Couture, aux brillantes promesses ; et Prosper Roux, qu’il regardait presque comme son fils et qui, faveur exceptionnelle, travaillait à ses côtés, sous ses yeux. Hébert fut reçu en loge avec le numéro 10, c’est-à-dire le dernier. Couture et Roux prirent aussi part au concours de Rome. À leur sortie de loge, lorsque les tableaux furent exposés, P. Delaroche fit appeler ses trois élèves à la salle de l’hémicycle de l’École des beaux-arts dont il terminait la décoration. Les jeunes gens arrivèrent pâles d’émotion. Le professeur, l’air grave, s’adressant d’abord à Couture, puis à Roux, leur donna son avis motivé, les louant, les blâmant selon leurs mérites et leurs défauts, sans leur laisser espoir de succès. Le jeune Hébert tremblait d’anxiété, car il n’avait pas encore été encouragé d’un regard, et il s’attendait à quelque critique sévère, lorsque le maître se tourna vers lui et lui dit simplement : « Quant à vous, vous aurez le prix ! »

Nous éprouvions, nous les jeunes de 1848, pour Delaroche, une admiration mêlée de respect ; mais nous nous sentions, pour la plupart, plus passionnément entraînés vers Robert Fleury. Moins méthodique, plus inégal, celui-ci nous parlait davantage à l’âme, et je le considère encore maintenant comme un grand artiste, bien que son œuvre sente parfois trop la peine d’un travail opiniâtre.

Sa tête, très remarquable aussi, au lieu de ressembler à l’aigle, inclinait vers les oiseaux de nuit : une vaste arcade sourcilière avec, au fond de l’orbite, un petit œil d’un noir roux étincelant dans l’ombre ; et, au milieu de l’irradiation d’une barbe en collier que j’ai vu passer successivement de l’ébène à la neige, un nez recourbé, aigu, une bouche fine sur le menton en saillie. Ce menton volontaire corrigeait l’indécision de son sourcil un peu tombant vers les tempes et de son regard ébloui au grand jour.

Il était modeste, timide, inquiet et, par contradiction, très ardent,