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penchant de piétiste à prêcher et à convertir. Ces leçons de l’Athénée furent pour la plupart des prédications.

Il l’avait déclaré dès le premier jour : « Nos leçons ne serviraient à rien, si nous n’y cherchions que des résultats scientifiques ; nous devons aussi tendre vers un but moral...[1]. » Il disait encore : « Le talent, la valeur, la popularité ne sont rien, s’il ne s’y ajoute ce qu’il y a de plus beau sur cette terre, la vertu. »[2] Quatre ans après, dans la leçon d’adieu, il se rendait à lui-même ce témoignage : « Quel que soit le sort qui m’attend, dans ce reflux changeant des idées et des choses, que je me taise pour toujours, ou que, dans d’autres enceintes, et du haut de tribunes plus élevées, je défende les croyances auxquelles j’ai consacré un cœur sans haine et un esprit sans détours, n’oubliez jamais que, dans toutes mes leçons, je me suis efforcé de vous inspirer le culte de la liberté, sans laquelle la vie humaine n’est rien ; le culte de la vertu, sans laquelle il n’y a pas de liberté féconde, et le culte de Dieu, sans qui ni la vertu ni la liberté n’ont d’éclat...[3] » Il s’efforçait de soustraire la jeunesse des écoles à la corruption qui régnait dans le Parlement, dans le gouvernement, à la Cour, et s’étendait de proche en proche comme une lèpre. Il s’efforçait de la préserver, cette bonne et saine jeunesse, du scepticisme officiel. Il nourrissait, dans l’ingénuité de son cœur, l’immortelle chimère des utopistes et des très jeunes gens, qui s’imaginent, les uns et les autres, qu’il suffît de renverser le régime établi, pour ramener du même coup l’âge d’or. Castelar a mis beaucoup de temps à s’apercevoir de l’irrémédiable impuissance des novateurs à refaire la société, vu qu’il faudrait d’abord refaire la nature humaine. Tout lui semblait possible avec la foi démocratique. Il en attendait des miracles ; ce seraient les trompettes de Josué faisant tomber les murs de Jéricho ! Un jour, ayant décrit l’intervention souveraine des premiers chefs de l’Église, qui arrêtaient d’un geste les barbares) victorieux, il en tirait soudain cette conclusion : « J’ai terminé, Messieurs. Mais,

  1. La Civilizacion, t. Ier, Leccion primera, p. 35.
  2. En Espagne, où les modes françaises arrivaient de Paris avec quelque retard, on pouvait encore, vers 1860, parler de « la vertu » et se proclamer « vertueux, » comme on parlait il y a cent ans, de sa « sensibilité ». Cette phraséologie rattache bien Castelar à notre génération de 1848. A comparer les tirades politiques et humanitaires de Mme Sand, qui écrivait de même (Souvenirs de 1848) : « Nous, mon ami, nous sommes vertueux ! » etc.
  3. La Civilizacion, t. IV.