Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 154.djvu/506

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fut le sujet et le titre de ces leçons[1]. Vaste sujet, qui, par les amples horizons d’Orient, de Grèce, de Rome, convenait en perfection à son éloquence pompeuse et splendide. Décrire ce monde romain qui, des colonnes d’Hercule aux déserts arabiques, embrassa dans son unité les grandeurs, les misères, tous les raffinemens de la civilisation païenne ; et, en face de cette société, deux puissances surgissant des sables de la Judée et des forêts germaines : les chrétiens et les barbares, qui envahissent Rome par la double conquête des croyances et des armes ; dérouler ces tableaux, quelle séduction ! oui, mais quelle entreprise ! Castelar s’y jetait audacieusement ; il s’engageait dans l’effrayant dédale, ne sachant trop ce qu’il trouverait au bout. C’est un trait de son caractère de ne point redouter les obstacles. Où d’autres reculeraient, il s’élance ; où les timorés, curieux du détail, détestant l’a peu près, ayant peur des surprises, navigueraient lentement, jetant avec anxiété la sonde, il vogue à pleines voiles. Aller de l’avant, se fier à son astre, ne point s’arrêter aux délicats scrupules du pur lettré ou de l’artiste uniquement touché de son idéal, défaut capital, mais défaut nécessaire à un homme de propagande ! Approfondir avant de parler ? Mais, à ce compte, on ne parlerait guère, et Castelar, par son rôle autant que par sa nature, devait parler beaucoup ! Voilà comment il abordait de plain-pied les problèmes les plus ardus. Avait-il exploré les bases de sa doctrine ? Avait-il même une doctrine et un plan ? Mais qu’importe ? Il avait son incomparable faculté d’assimilation, son inépuisable trésor de généralités grandioses ; il avait enfin cette magie de l’éloquence, qui, du haut d’une chaire, ou du haut d’une tribune, est la souveraine des hommes assemblés. On le vit bien dès la première leçon. Il s’était emparé de l’auditoire. Durant quatre années, il l’a tenu sous le charme.

En ses leçons, comme en ses articles, l’éloquence règne souverainement. Et cette éloquence est la même qui éclatera plus tard dans les Cortès. La voilà déjà tout entière, avec les procédés que nous retrouverons, non seulement dans ses harangues, mais dans tous ses écrits et jusque dans ses notes de voyage, dans les Souvenirs d’Italie, par exemple. Je voudrais dégager la formule de ces procédés, très caractéristiques sous leur apparence quelque peu banale.

  1. La Civilizacion en los cinco primeros siglos del Cristianismo ; 4 vol. in-8o. Madrid, 1863.