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III

Un changement décisif s’était produit dans la politique espagnole. Au mois de juillet 1856, Espartero avait quitté le pouvoir, vaincu dans la lutte qu’il soutenait depuis deux ans contre son rival O’Donnell. Sa retraite fut suivie de la dissolution des Cortès constituantes. La période révolutionnaire, dite du biennio, était close. Les conservateurs l’emportaient et peu à peu allaient reprendre ce que les événemens de 1854 leur avaient enlevé. Les démocrates étaient frappés du même coup ; les journaux avancés durent mettre la sourdine : il n’y avait rien à tenter dans la presse. Castelar le comprit ; il se tourna vers le haut enseignement, et porta de ce côté l’effort de sa propagande.

La chaire d’histoire nationale était vacante à l’Université de Madrid ; il se présenta au concours. Par les prodiges de sa mémoire, par son éblouissante rhétorique, il éclipsa ses concurrens. Ce candidat forçait les portes ; il fut nommé en plein ministère Narvaëz. Le nouveau professeur ouvrit son cours le 1er janvier 1857. Il le continuera durant plus de huit années, et avec quel succès ! Le public, chose rare, y disputait la place aux étudians. C’étaient de perpétuelles ovations. Les étudians, parmi tout cela, trouvaient-ils un enseignement très solide ? Mais, pour ce grand agitateur d’idées, il s’agissait bien moins d’instruire les générations qui entraient dans la vie que de les conquérir à la liberté. Enseigner, pour lui, c’était encore, c’était avant tout prêcher et combattre. Il n’a rien publié de cette longue suite de leçons ; mais nous en avons d’autres qu’il prononçait ailleurs, dans le même temps. Je veux parler du cours fameux, inoubliable, de l’Athénée, où une foule enthousiaste s’écrasait pour l’entendre. Les plus célèbres orateurs ont passé tour à tour par cet Athénée de Madrid : Martinez de la Rosa, Donoso Cortès, Pacheco, Lopez, Olozaga, Canovas del Castillo. Castelar avait à peine vingt-six ans lorsqu’il fut appelé à y professer. De cette chaire il fit une tribune. Ce maître, en vérité, ne ressemblait à nul autre. Suivons-le dans cette étroite salle où son accent d’apôtre fit tant de fois frissonner l’auditoire, où tant de jeunes âmes reçurent comme un rayon d’en haut.

La Civilisation dans les cinq premiers siècles du Christianisme