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sa table, comme à la tribune, il improvise. Il harangue les lecteurs comme un auditoire ; toujours orateur, l’éloquence est pour lui le ton naturel. C’est pourquoi ses articles ne diffèrent pas très sensiblement de ses discours. Ils en ont le large courant et la période cicéronienne[1]. Orateur, improvisateur, retenons ces deux traits ; ils caractérisent l’écrivain.

Dès cette époque, il s’était déclaré républicain ; il l’a été de tout temps ; mais il ne fut jamais un jacobin. Il a toujours répudié la tyrannie, qu’elle vînt du prince ou qu’elle vînt du peuple. Les chimères des socialistes n’ont pu séduire un moment sa raison. Nous l’avons connu respectueux des principes éternels qui sont la base des sociétés. La vérité est qu’il les avait respectés à toutes les époques. Seulement, en ses débuts, il avait eu l’exaltation et l’intransigeance des esprits généreux et jeunes ; et, ce qui lui prêtait un charme singulier, il rattachait ses dogmes politiques à ses croyances religieuses. C’était au nom du Christ qu’il prêchait la démocratie.

Quelle était donc cette démocratie idéale qu’il voyait poindre comme une aurore ? Et d’abord quel était ce parti démocratique, chose nouvelle en Espagne ?

Dans un écrit de propagande qu’il publiait pour l’instruction des foules, Castelar s’efforçait de prouver que la démocratie en Espagne était ancienne, et qu’elle plongeait par ses racines au cœur de la nation[2]. Il avait raison s’il voulait dire que l’Espagne fut, au moyen âge, un des pays où il y eut le plus de liberté. Quelle étonnante parole, en ces temps de servitude, que la hautaine allocution dont les Aragonais saluaient leur roi à son avènement : « Nous qui valons chacun autant que vous, et réunis pouvons plus que vous, nous vous jurons fidélité si vous respectez nos franchises, sinon, non ! » Quelle intensité de vie dans les Cortès de Castille, et dans ces comuneros qui, le jour où la monarchie grandissante menaça leur autonomie, succombèrent, avec Juan de Padilla, dans les plaines de Villalar ! Contraste étrange ! Cette nation que l’on vit, plus tard, ployante et inerte comme un cadavre aux mains de l’Inquisition et du Roi, elle avait été de toutes les nations peut-être la plus libre avant d’être la plus asservie !

  1. Il a recueilli un certain nombre de ses articles politiques dans les trois volumes intitulés Cuentiones politicas y sociales.
  2. Breve historia de la democracia española. Tome III des Cuestiones politicas y sociales.