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à la démocratie il n’y a qu’un pas. Ces sentimens germaient en lui dès le premier âge ; ils éclatèrent au mois de mars 1848.

Emilio Castelar avait alors quinze ans. Ecolier, pour quelques mois encore, au collège d’Alicante, il prêtait l’oreille aux échos lointains de France, d’Allemagne, d’Italie. La vieille Europe croulante, les trônes secoués par la tempête, les peuples rompant leurs digues au nom de l’éternelle justice, tout ce que les chancelleries d’ancien régime avaient foulé aux pieds depuis trente ans ; à Paris, la démocratie souveraine s’essayant à refaire une société : les magnifiques programmes, les scènes de l’Hôtel de Ville, et cette image d’un peuple gouverné par l’éloquence, tout ce mouvement d’idées et de passions le transportait. Lamartine était son héros. On a souvent dit que Castelar était « un Lamartine espagnol. » La vérité est qu’il lui ressemble, moins sans doute qu’on ne s’est plu à le répéter ; mais il en a la haute improvisation et le lyrisme. Il procède, en un mot, de notre grand poète par une influence ou plutôt une affinité très directe.

Il paraît que, se promenant un jour au bord de la mer avec ses camarades, l’écolier d’Alicante leur lisait le memorandum que Lamartine, ministre des Affaires étrangères de la république nouvelle, venait d’adresser aux puissances. Soudain il s’interrompt dans sa lecture et, se tournant vers ses auditeurs, il s’écrie : « Vous me tiendrez pour fou ; mais je sens que c’est à moi qu’il appartiendra de même d’annoncer l’avènement de la république en Espagne ! » Et, en effet, ajoute le narrateur, vingt-cinq années après, Castelar devenait, lui aussi, le ministre des Affaires étrangères de la République espagnole et la notifiait, lui aussi, au monde. — Quoi qu’il en soit de cette prophétie, un fait est certain, l’action décisive que la Révolution française de 1848 a exercée sur son esprit. « La République de 1848, disait-il plus tard, a été la mère de mes idées[1]. » Il y a ainsi, pour la plupart des hommes, un régime qui leur laisse à jamais son empreinte ; et, plus ils avancent, plus l’empreinte initiale ressort avec relief. Castelar s’est, en somme, assez peu renouvelé. En littérature et en politique, il est demeuré ce que l’ont fait ses maîtres, les hommes de 1848 ; il les a continués et, à bien des égards, représentés jusqu’à la fin parmi nous. Vous retrouvez en lui leur accent et leur geste, et leur emphase de théoriciens, et leurs illusions de

  1. Discursos politicos y littrarios ; 1 vol. Madrid, 1861.