Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 154.djvu/490

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’ont connue, une femme d’un grand cœur et d’un rare esprit, une de ces mères que l’on rencontre au berceau des hommes supérieurs. Il reçut d’elle une sensibilité presque féminine et ces nobles ardeurs qui éclatent dans son éloquence avec une si haute singularité. Il l’a dit lui-même : « La raison, les livres, les écoles, le père nous donnent les idées ; les sentimens, ce sont les mères qui nous les donnent... » Et n’est-ce pas à sa mère qu’il pensait en écrivant cette page bien longtemps après, aux heures sombres de l’exil ? « Un être peut adoucir nos douleurs ; c’est notre mère. Dieu nous l’a donnée pour que ses purs baisers mettent un peu de miel dans l’amertume de notre vie. Dieu l’a envoyée près de notre berceau pour que, devant nos yeux qui s’ouvrent, les ailes de son amour dissimulent l’obscur horizon où il nous faudra tendre, en luttant, vers la mort. Dieu a voulu que ses mains joignent nos mains aux premières prières, et que son sourire soit à nos espérances comme une aurore de l’infini. Elle est la vertu, la charité, la partie tendre du cœur, la note mélancolique de l’âme, l’immortel fond d’innocence qui subsiste dans les replis même du naturel le plus mauvais. Quand vous sentez en vous un bon mouvement, le désir de sécher une larme, de secourir une infortune, de partager votre pain avec un malheureux, de vous précipiter à la mort pour sauver votre prochain, retournez-vous, et vous trouverez à votre côté, comme l’ange gardien qui vous inspire la pensée du bien, l’ombre chérie de votre mère...[1] » Mme Castelar n’a pu voir que les débuts de ce fils en qui elle revivait. Elle avait été la compagne des années difficiles, et, comme tant de pauvres mères, elle est morte au seuil de la terre promise. Mais, avant de descendre prématurément dans la tombe, cette noble femme avait accompli sa mission sacrée. Déjà elle entendait les acclamations qui saluèrent la gloire naissante du plus grand orateur de l’Espagne. En vérité, il est son œuvre ; il est sorti formé et façonné de ses mains pieuses.

Elle fut pour lui le premier maître, infiniment doux, dont plus tard nous revoyons le sourire à travers nos larmes. Elle avait pressenti la destinée de son fils. Une gitane n’avait-elle pas prédit qu’il ferait grand bruit dans le monde ? Mme Castelar avait conservé à l’enfant la bibliothèque paternelle ; il lui lisait à haute voix, durant des heures, les écrivains nationaux. Accoutumée

  1. Vida de lord Byron ; La Havane, 1873.