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Les marchands crient, les commères jacassent et disputent, les badauds bavardent et médisent : l’esprit du lecteur s’emplit de tout le bruit de la rue et de tous les murmures du foyer. Rien ne lui échappe de ce qui se passe dans le secret des cœurs : ruses de l’intérêt, violences de la passion, pensées sur la religion et la politique, considérations de la philosophie vulgaire, Belli dévoile tout. Il révèle l’âme de tous les personnages qu’il fait parler, avec un art tel que leur attitude psychologique se dessine immédiatement et pour toujours dans l’imagination, accompagnée pour ainsi dire de l’attitude physique qui lui correspond.

Belli a découvert le peuple de Rome et l’a exploré peut-être mieux que personne. Il a inventé la poésie dialectale romaine et l’a illustrée plus magnifiquement sans doute qu’on ne le fera jamais. Mais le lecteur étranger risque un peu cependant de se perdre dans son œuvre si vaste, de n’en point apprécier tout le charme. Il n’y trouve pas le Romain dressé en pied, l’âme romaine résumée dans toute la force d’une expression synthétique. Le parfum de terroir est abondamment répandu dans tous ces sonnets, il n’y est pas concentré. Belli est réaliste, fidèle à la nature. Il l’observe et la reproduit pieusement ; mais il la suit, il ne la domine pas. Il évoque beaucoup de types romains, — que dis-je ? tous les types romains, et ceux qu’on rencontre encore aujourd’hui, et ceux dont la disparition de l’Etat pontifical a entraîné la perte. Mais il n’impose pas, du premier coup, le type du Romain. Pour avoir la révélation en quelque sorte sculpturale, la représentation à la fois ramassée et copieuse de l’âme romaine, ce n’est pas à Belli qu’on doit s’adresser, c’est à un poète de notre temps, M. Cesare Pascarella.

Sans Belli, Cesare Pascarella ne serait pas le grand poète qu’il est : il m’en voudrait de ne le point dire tout de suite. Car sans Belli, il n’y aurait pas de littérature romanesca. Elle naquit de son œuvre, qui en reste le monument le plus considérable. Lorsqu’on 1870, après une édition fort mutilée donnée par le fils de Belli en 1865-1866, M. Morandi eut publié deux cents sonnets conformes aux manuscrits, la renommée du poète commença de se répandre et les imitateurs se mirent à la besogne. Depuis la belle édition définitive de M. Morandi on 1887-1889, leur nombre s’est accru avec celui des lecteurs et des admirateurs de Belli. La plupart des poètes romaneschi marchent exactement sur les traces de leur maître. Ils fixent comme lui en sonnets détachés les conversations