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des haillons noirs. D’abjects villages prolongent la ville, excroissances de misère. L’effrayante pauvreté chinoise, aussi terrible qu’une armée de rats maigres, se colle à tout ce qui s’érige ou chancelle, au berceau des villes comme à leur tombe.

J’ai gravi les escaliers de pierre des ruines de San Paulo. Seule, la façade de la cathédrale se dresse encore. Elle domine la ville, la mer, les archipels et la solitude infinie. Au-dessus du grand portail le temps n’a point encore effacé les mots de Mater Dei et la Madone foule le globe du monde. Ses huit colonnes, ses chapiteaux, ses clochetons, ses sculptures brisées, ses niches vides et béantes comme des fenêtres incendiées, la lumière du ciel qui la traverse de part en part, quelle mélancolie pour l’étranger d’Europe, et faut-il donc qu’il retrouve si loin le fantôme dégradé de son incontestable grandeur ? La Chine qui campe au pied de la sainte terrasse a monté jusqu’aux décombres. Elle y épaule d’informes paillottes ; sa marmaille en a pris possession ; des porcs fouillent de leurs groins la terre jaune qui ensevelit ces restes épars. Je fus obligé de les chasser à coups de pied pour lire sur une pierre angulaire la date de 1602.

Mais dans les quartiers retirés, dans ce qui reste encore aux Macaïstes de leur Macao, la vie provinciale se poursuit avec sa régularité et sa monotonie d’autrefois. L’image d’une ville de rentiers et de bourgeois dévots, de béguines et de marguilliers se lève devant vos pas. Ce sont des rues désertes aux volets clos, de vieilles bornes aux manchons de mousse, des couvens aux cloches fêlées, des croix de pierre sous des arcades de verdure, des niches de saints à l’angle des murailles, des bruits de ferraille dans des serrures récalcitrantes, une clarté printanière sur un joli feuillage, et l’éternel dimanche d’un carême ensoleillé. Les vieilles demoiselles encapuchonnées de mantilles noires, le rosaire à la main, grimpent le long des ruelles, et rasent les murs et disparaissent par de petites portes qui grincent. Des pharmaciens, au seuil de leur boutique, le pouce dans le gousset, arrêtent le client, histoire de causer. Les gens sont bavards et curieux. Un prêtre m’aborda pour me demander d’où je venais, qui j’étais, si je ne voulais pas acheter une maison de campagne à Macao, et finit par me vanter le clergé de la ville et m’exalter sa puissance. Comme je considérais sur le quai une haute maison à trois étages, un bonhomme sortit de chez lui, s’avança vers moi, et, après s’être enquis de ma nationalité et de ma profession, m’expliqua que