Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 154.djvu/398

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

desséché les marécages et défriché les forêts, et ceux qui acceptent de vivre sous leurs lois jouissent en hommes libres de la sécurité du lendemain. Les émigrans de l’Inde y trouvent un magistrat chargé de leurs intérêts ; les Malais, des maîtres plus équitables que leur sultan ; les Chinois, des mandarins indulgens qui les laissent s’enrichir. Il se pourrait que ces peuples expatriés, naturellement paresseux et picoreurs, y apprissent la nécessité du travail et l’utilité de la bonne foi ; mais, à en croire les gens qui les connaissent, je ne pense pas qu’on leur enseigne jamais l’honnêteté des mœurs. Si la colonie européenne de Singapour, composée d’Anglais, d’Allemands, de Suisses, de Hollandais et de soixante-dix Français, presque tous invisibles, sauf le soir quand ils promènent leurs équipages devant le grand hôtel de l’Europe, si cette colonie se comporte en général avec décence et correction, les paquebots des mers orientales entretiennent chez nos frères jaunes le désir de plaire aux vices du monde entier ; et les petites Japonaises descendent jusqu’ici pour saluer à leur manière les voyageurs qui vont entrer dans l’Empire du Soleil Levant.


Hong-Kong, novembre-décembre 1897.

Hong-Kong, l’œuvre la plus extraordinaire de la conquête européenne dans l’Extrême-Orient. Voici trois semaines que j’y ai débarqué et mon étonnement grandit chaque jour en admiration. Les Anglais ont pris, à quelques brasses de la terre chinoise, une petite île escarpée, rocheuse, âpre, nue, et, en moins d’un demi-siècle, ils en ont fait surgir un impérissable enchantement. C’est une forteresse braquée sur l’avenir et une cité des contes arabes, le premier port de l’univers après New-York, et, pour emprunter une image aux Anglais eux-mêmes, le fermoir éclatant et mystérieux de la chaîne d’or qui enserre le monde. Devant la presqu’île de Kowlong, dont les déchiquetures et les contreforts semblent enclore la rade, séparés de la mer par une barrière populeuse de clubs, de banques, d’officines, de consulats, et par une longue rue où s’écoulent toutes les races humaines, ses édifices surmontés de palais, ses palais hérissés de jardins tropicaux, ses jardins dont le sombre épanouissement supporte des villas et des vasques de fleurs, frappent les yeux de l’étonnant miracle d’une ville en espalier sur un rempart de schiste.

Cottages, hôtels, hôpitaux ou casernes, les promontoires sont crénelés de résidences aériennes et les flots de sa baie propagent