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n’étais pas exempt de tout souci, à la pensée que l’avènement au trône d’un nouveau prince pourrait se produire sans que les traditions monarchiques se transmissent au successeur[1]. » Et vraiment la Princesse royale eût eu tort de mettre en doute, — si personnellement et directement ironique qu’elle fût, — la parole de M. de Bismarck : il ne demandait aux rois de Prusse que de le tenir, tant qu’il vivrait, pour la plus indispensable de leurs « traditions ; » à ce prix, « son bonheur sur terre » était assuré. Mais il le demandait surtout aux Empereurs allemands, parce que là, dans cet Empire tout neuf, dont son histoire était toute l’histoire, il était la seule tradition vivante, et qu’après l’avoir fait, chaque jour et longtemps encore il devait finir de le faire.

Ce n’était pas tout d’avoir assemblé ces pièces et morceaux d’Allemagne : il s’agissait de les presser l’un contre l’autre jusqu’à les faire entrer l’un dans l’autre ; ce n’était pas tout de les avoir collés : il fallait veiller à ce qu’ils prissent. Outre le chancelier, qui était comme l’anneau de sûreté, comme le cercle par lequel ils étaient maintenus, la constitution comportait deux autres organes d’Empire : un pour les princes, le Bundesrath, un pour les peuples, le Reichstag. Pour les peuples, ou mieux pour le peuple ; car on voulait que, disséminé au Nord et au Sud, en Bavière, en Wurtemberg et en Saxe comme en Prusse, il y eût un peuple allemand ; l’unification de l’Allemagne avait commencé par son unification civique : un indigénat allemand, un suffrage universel allemand, un Parlement allemand.

Bismarck avait d’abord estimé les peuples plus allemands que les princes, et, si l’on peut le dire, plus impériaux ou plus impérialistes. A priori, il était porté à croire que les difficultés lui viendraient plutôt du Bundesrath, qui lui rappelait toujours un peu la Diète de Francfort : « En établissant la constitution de l’Empire, j’avais craint que notre unité nationale ne fût menacée en première ligne par des tendances dynastiques particularistes, et je m’étais imposé la tâche de gagner la confiance des dynasties en sauvegardant avec loyauté et bienveillance leurs droits constitutionnels dans l’Empire ; j’ai eu le bonheur de voir les plus grandes maisons souveraines trouver dans les dispositions prises la satisfaction de leur esprit national et de leurs droits. » En revanche il avait trop espéré du concours du Reichstag : « D’un autre côté

  1. Pensées et Souvenirs, t. I, p. 196.