Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 154.djvu/373

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

guerre avec l’Autriche, voit autre chose, pour qui elle n’est déjà que du passé, et pour qui le passé n’est qu’un élément ou un facteur d’avenir, il veut les arrêter à temps ; il ne veut pas qu’ils mettent entre l’Autriche et lui l’irréparable. Il les en prie, il le leur crie, et, désespérant de les persuader, il se roule sur son lit, dans les larmes[1]. De même, il veut faire servir cette paix triomphante avec l’Autriche à faire sa paix avec le Parlement ; l’absolution militaire de Sadowa, il veut la régulariser en forme constitutionnelle, sous les espèces d’un bill d’indemnité. Sur ce point encore, le Roi se défendait : il lui répugnait de paraître demander pardon à la Chambre et avouer qu’il aurait eu tort. — In verbis simus faciles ! lui répétait Bismarck : et à contre-cœur, comme à Nikolsbourg, Guillaume Ier céda. Il finissait toujours par céder à ce ministre qu’il ne comprenait pas toujours, mais en qui il sentait une force, dont son instinct royal lui disait que c’était sa force.

Après 1866, la position de M. de Bismarck est meilleure, et les travaux d’approche vers la France lui sont moins pénibles. Rien n’aide à réussir comme d’avoir déjà réussi : il a dorénavant foi dans le succès, et la Prusse et l’Allemagne ont foi dans son succès. Les minutes d’éternité, le pont tremblant sur l’abîme, le supplice d’âme de savoir si, tout à l’heure, la Fortune qui va passer apportera la vie ou la mort, ouvrira la porte du temple ou celle du cabanon, il ne les connaît et ne les connaîtra plus : il ne pense et ne pensera plus ni à se brûler la cervelle, ni à se jeter d’un troisième étage[2]. Il a réussi : c’est un cordial pour le chemin qui reste à faire, et où il s’avance non moins prudemment, mais plus sûrement. Il a pu nouer le premier nœud allemand : la Confédération de l’Allemagne du Nord. Il a pu former et lier la trinité prussienne, Bismarck, Moltke, Roon ; il a, de la sorte, l’agent de conception et de direction : lui-même ; l’agent de préparation :

  1. Ce fut le Prince royal, le futur empereur Frédéric, qui se chargea d’enlever le consentement de Guillaume Ier. « II se rendit alors chez le Roi, revint au bout d’une petite demi-heure du même air calme et aimable, en me disant : « Cela a été dur, mais mon père a consenti. » Ce consentement se trouvait écrit au crayon dans l’annotation marginale d’une de mes dernières requêtes. Il était formulé à peu près de la manière suivante : « Puisque mon président du conseil m’abandonne devant l’ennemi et que je suis ici hors d’état de le remplacer, j’ai discuté la question avec mon fils. Il s’est joint à l’opinion du président du conseil, et je me vois forcé, à ma grande douleur, après de si brillantes victoires remportées par l’armée, d’avaler cette amère pilule et d’accepter une paix honteuse. » — Pensées et Souvenirs, t. II, p. 35-56.
  2. Ibid., p. 56.