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par la vie et par la réflexion, sera devenue plus exigeante en matière de preuve. Rien ne mène plus sûrement à un scepticisme qui peut être dangereux pour la moralité que les affirmations naïves d’un dogmatisme précoce et téméraire. Ce péril, Taine en était très frappé. Il avait eu entre les mains les cahiers d’un élève de philosophie, auquel il portait un vif intérêt ; il les avait étudiés en homme rompu à tous les exercices de la pensée et, — je l’ai entendu plusieurs fois revenir sur ce sujet, — il y trouvait bien des théories, bien des discussions qui lui paraissaient au-dessus de la portée d’une raison de dix-sept à dix-huit ans. Celle-ci, loin de gagner en vigueur à l’effort qui lui était imposé, s’y fatigue et s’y fausse. C’est le règne de l’à-peu-près, des démonstrations qui n’en sont pas, des idées spécieuses ou obscures.

Nous accorderions volontiers qu’il puisse y avoir là quelque exagération ou que, du moins, tous nos professeurs de philosophie ne méritent pas également ce reproche. Plus d’un maître qui, par goût, pencherait de ce côté est retenu sur cette pente par la modestie des ambitions de ses élèves qui bornent leurs désirs à la conquête du diplôme. Là où sont le plus sensibles les effets de la tendance que nous avons signalée, c’est dans les classes où se pressent, à Paris, les candidats à l’Ecole normale et à la licence es lettres ; le maître s’y voit entraîné dans le domaine de la spéculation métaphysique par l’ardeur même de la curiosité que témoignent des jeunes gens d’un esprit très ouvert, lorsque, pour la première fois, viennent se poser devant eux les grands problèmes qui tourmenteront éternellement l’humanité. Entre les subtiles analyses d’une dialectique savante et la sécheresse d’un cours qui n’est qu’une préparation à l’examen, il y a bien des degrés intermédiaires ; mais toujours est-il que, presque partout, l’enseignement de la philosophie gagnerait à se simplifier, pour mieux s’approprier aux facultés et aux besoins de la jeunesse qui le reçoit. En acceptant ces réduction», il pourrait, lui aussi, rendre disponibles, dans la distribution du temps, quelques heures qui seraient passées au compte de l’art.


V

Pour fonder cet enseignement de l’art et pour le mettre dans ses meubles, il faut le concours cordial du corps enseignant, qui devra changer ses habitudes et s’imposer un surcroît d’études et