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collaborateur de l’architecte, et il n’a pas tiré un parti moins heureux des champs que celui-ci lui livrait. De même que, dans les frontons et les frises des temples doriques, Phidias et Alcamène avaient représenté les grands dieux de la Grèce et les mythes locaux d’Athènes et d’Olympie, les maîtres anonymes qui furent appelés à décorer nos cathédrales ont dressé leurs statues sur les côtés et dans les voussures des portes, dans les galeries ajourées qui courent au flanc des façades, sur la cime des pinacles dont se hérisse le bâtiment, partout enfin où ils trouvaient une place libre ; ils ont mis là, distribuées dans un ordre que réglaient la doctrine et la tradition, les images du Sauveur et de la Vierge, celles des anges et des saints, des prophètes et des apôtres, de maints autres personnages qui sont mêlés soit aux récits de l’Evangile soit à ceux de diverses légendes, et, parmi ces images, il en est beaucoup, à Bourges, à Chartres, à Reims, à Amiens et à Notre-Dame de Paris, qui sont des merveilles de sévère élégance, de grâce pudique et fière, de haute noblesse morale. C’est tout récemment que l’on a fait cette découverte ; mais on aurait peine à trouver un connaisseur qui se refusât à comparer aux plus vantées des statues antiques l’admirable Christ enseignant du portail occidental d’Amiens, celui auquel s’est rattaché le surnom populaire de beau Dieu d’Amiens.

La sculpture française du XIIIe siècle ne s’est pas appliquée, comme la sculpture grecque, à l’étude et à la reproduction du nu ; pour des raisons faciles à saisir, elle s’est privée de cet attrait. Toutes ses figures sont vêtues ; mais, sous l’étoffe, drapée par masses et à larges plis, le contour et le mouvement de la forme sont indiqués avec précision. Ce qui pourtant fait l’intérêt principal de cette sculpture et sa rare originalité, c’est qu’elle est plus expressive peut-être qu’aucune autre ne l’a été ; elle l’est par l’ensemble de la pose, par la disposition de la draperie, et surtout par le caractère que l’artiste a su donner aux traits du visage. Ainsi, ce que le moyen âge n’a pas su dire par la parole ou ce qu’il n’a dit que d’une voix sourde et qui ne porte point, — les mystères augustes du dogme chrétien, la poésie de l’Ancien et du Nouveau Testament, les morts triomphantes des martyrs, les miracles des Saints et leur charité infinie, — tout cela, il l’a sculpté, d’un ferme et large ciseau qui, sans chercher la difficulté, ne s’en effraye point et, quelle que soit la matière employée, est sûr de sa forme. Pour comprendre combien, là, l’œuvre plastique est supérieure