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un trône, et celle de Caligula, ce fou spirituel et méchant, ont toutes quelque chose d’aristocratique, une noblesse et une fierté où l’on sent la race ; on y reconnaît les descendans de ces grandes familles patriciennes qui parurent d’abord seules en droit de donner des maîtres aux Romains, Avec Vespasien, issu d’une famille de petite bourgeoisie qui se pousse dans les fonctions publiques de second ordre, on devine l’avènement de ce que l’on appellerait aujourd’hui les nouvelles couches. Vespasien a le visage rond et glabre, il a le double menton d’un chef de bureau, Trajan a la physionomie d’un soldat, on serait presque tenté de dire d’un soldat qui a porté le sac et passé par les grades inférieurs. Adrien, avec sa tête qui se penche comme pour mieux entendre, avec ses yeux dont la vivacité perce jusque dans le marbre, avec sa bouche qui s’entr’ouvre pour continuer la conversation commencée, offre tous les traits d’un lettré intelligent et curieux. On prendrait Marc-Aurèle, tout hérissé de cheveux et de barbe, pour un philosophe grec. Chez Caracalla, il y a de l’égarement ; son regard trahit ce délire fantasque et meurtrier qui s’empara de plus d’un empereur, de ceux surtout qui se trouvèrent exposés, dès leur jeunesse, aux tentations du pouvoir absolu.

Ce n’est pas seulement aux personnages de l’histoire que les monumens figurés rendent la vie ; ce même caractère de réalité sensible, ils le prêtent aussi au cadre et au décor du tableau, à tout le théâtre sur lequel ces acteurs ont joué leur rôle. C’est ce que, du temps où j’étais collégien, aucun de nos maîtres ne paraissait soupçonner ; il n’y avait pas une image dans les secs et froids précis qui nous étaient mis entre les mains ; aussi en suis-je à me demander si, quand j’apprenais l’histoire grecque et romaine, j’étais vraiment convaincu que Sparte et Athènes, Rome et Carthage eussent jamais existé. Tout au moins ne sa vais-je ni où ni comment les situer dans l’espace, quelle idée me faire de leur assiette, de la silhouette que projetaient sur l’horizon les faîtes de leurs murailles, de leurs maisons et de leurs temples. Toutes ces illustres cités, c’était pour moi des ombres vagues qui flottaient entre ciel et terre ; aucune d’elles ne correspondait à une forme distincte et définie.

S’il en est ainsi pour l’antiquité classique, malgré la couleur et l’éclat des récits de ses écrivains, combien il est plus difficile encore de connaître et de comprendre le moyen âge, lorsque l’on se condamne à ne l’étudier que dans son œuvre littéraire ! Celle-ci est mi-partie latine et mi-partie française. Or, le français n’est pas