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leurs pères, au pied desquels, dans les villes qu’ils habitaient, ils pouvaient passer pendant des années, sans que personne les conviât à y entrer et à les regarder, à se demander ce que l’âme des générations disparues a mis d’elle-même dans le rythme de toutes ces pierres et dans les images qui les décorent. Les jeunes gens allaient être arrachés à cette indifférence, à cette honteuse ignorance ; et, peut-être, là où le maître aurait vraiment rempli sa tâche, quelques-uns d’entre eux commenceraient-ils dès lors à être assez touchés par la beauté des formes et des couleurs pour être assurés désormais de trouver dans l’étude et la contemplation des ouvrages de l’art la consolation des heures moroses, la source intarissable de fines et vives jouissances.

Pour le moment, les modernes, comme on disait dans l’argot du jour, devaient être seuls appelés à profiter du bénéfice de cet enseignement ; il semblait que celui-ci leur fût offert à titre de compensation, pour les dédommager de ce qu’ils perdaient en cessant d’avoir accès aux lettres grecques et latines. L’innovation n’était qu’un expédient ; mais le premier pas, un pas décisif, n’en était pas moins fait. C’était par la petite porte que l’art était entré dans nos lycées ; mais, maintenant que, de manière ou d’autre, il y avait acquis droit de cité, il ne pouvait manquer d’y faire sentir son attrait et d’y élargir son champ d’action. L’enseignement classique avait toute chance de garder comme cliens, au moins pendant un assez long temps, les jeunes gens qui pourraient consacrer le plus d’années à leurs études et qui se destineraient aux carrières dites libérales. Était-il admissible que ces jeunes gens fussent condamnés à une infériorité manifeste ; que, seuls de leur génération scolaire, ils demeurassent étrangers à tout un ordre de sentimens et d’idées auquel on aurait initié leurs camarades plus favorisés ?

Contre toute attente, ceux qui croient fermement à la nécessité de cette initiation n’ont pas vu se réaliser les espérances qu’ils avaient alors conçues. S’il est fait, dans les programmes du baccalauréat de l’enseignement classique, quelques mentions de l’art et de ses plus glorieuses créations, ce n’est que pour la seule partie de l’histoire sur laquelle les candidats soient interrogés, pour l’histoire moderne à partir de 1610. Ces candidats peuvent, en toute sûreté de conscience, ne pas même soupçonner que l’Égypte et la Chaldée ont eu un art très original et très puissant, n’avoir aucune idée ni du temple grec ni des constructions