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beaucoup d’esprit pour une fille de cette qualité, qui n’avait pas été à la cour. » Cependant Mme de Saint-Georges voyait ces relations d’un œil inquiet. Elle soumit ses scrupules à Monsieur : « Mme de Saint-Georges… lui demanda si cette fille était sage, parce qu’autrement, quoiqu’elle eût l’honneur de ses bonnes grâces, elle serait bien aise qu’elle ne vînt pas chez moi. Monsieur lui en donna toute l’assurance, et lui dit qu’il ne le voudrait pas lui-même sans cette condition-là. J’avais dès ce temps-là tant d’horreur pour le vice, que je dis à Mme de Saint-Georges : « — Maman (je l’appelais ainsi), si Louison n’est pas sage, quoique mon papa l’aime, je ne la veux point voir ; ou s’il veut que je la voie, je ne lui ferai pas bon accueil. » Elle me répondit qu’elle l’était tout à fait, dont je fus très aise. « Elle me plaisait fort… ainsi je la vis souvent. » Mademoiselle ne s’est pas doutée du comique de ce passage : elle ne l’aurait pas écrit, n’étant point de ceux qui admettent qu’il soit quelquefois permis de sourire des grands.

Au retour de ce voyage, elle reprit son train accoutumé : « Je passai l’hiver à Paris de la même sorte que j’avais fait les autres. J’allais aux assemblées que Mme la comtesse de Soissons faisait faire à l’hôtel de Brissac deux fois la semaine ; leurs divertissemens ordinaires étaient les comédies ; j’aimais fort à danser ; l’on y dansa souvent pour l’amour de moi… » Il y avait aussi des « assemblées » avec comédies chez la reine, chez Richelieu, chez nombre de personnages, et Mademoiselle recevait elle-même aux Tuileries : « La nuit du 23 au 24 janvier 1636), rapporte la Gazette, Mademoiselle donna en son logement des Tuileries le bal et la comédie à la Reine, où la bonne grâce de cette princesse, en son orient, montra ce qu’il en faut espérer en son midi. » — « Le 24 février, Monsieur donna la comédie et la collation à S. A. de Parme chez Mademoiselle, sa fille, en son appartement des Tuileries. » Mademoiselle passait les jours et les nuits dans les fêtes. Les études n’en souffraient pas, puisqu’elle n’apprit jamais rien, hormis lire et écrire, danser, faire la révérence et observer les règles d’une étiquette minutieuse. Le peu qu’elle sut, elle le dut probablement à une retraite forcée de plusieurs mois dans un couvent, vers neuf ans. Elle s’était rendue si intolérable à tout le monde, — c’est elle qui le dit, — par ses « grimaces » et ses « moqueries, » qu’on essaya d’un cloître pour la discipliner et la corriger. Le moyen réussit : « L’on m’en avait vu revenir… plus sage que je n’avais été. »