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payer les frais avec des lambeaux de son territoire. Il n’en restait pas moins pour sa fille la victime d’une persécution impie. Mademoiselle écrit, en parlant de ces années regorgeantes d’événemens qui la touchaient de si près : « Il se passa beaucoup de choses pendant ce temps-là : je n’étais qu’un enfant pour lors, je n’avais part à rien et ne pouvais rien remarquer. Tout ce dont je me souviens, c’est d’avoir vu la cérémonie des chevaliers de l’Ordre qui furent faits à Fontainebleau (15 mai 1633), dans laquelle aussi on dégrada de l’ordre M. le duc d’Elbœuf et le marquis de la Vieuville. Je vis ôter et rompre les tableaux de leurs armes qui étaient au rang des autres ; j’en demandai la raison : l’on me dit que l’on leur faisait cette injure parce qu’ils avaient suivi Monsieur. Je me mis aussitôt à pleurer, et je me sentis si touchée de ce traitement, que je voulus me retirer, et je dis que je ne pouvais voir cette action avec bienséance. »

Le lendemain de la cérémonie, un incident qui fut très commenté ajouta au chagrin de Mademoiselle. Son ennemi le cardinal faisait partie de la promotion des cordons bleus. Louis XIII voulut, à cette occasion, mettre son ministre hors de pair en le distinguant, et lui seul, par un présent. Son choix tomba sur l’objet du monde le plus propre à frapper une imagination enfantine. Les chevaliers du Saint-Esprit s’étaient réunis en un festin. Au dessert, on apporta à Richelieu de la part du roi un immense « rocher de confitures, d’où sourdait une fontaine d’eau parfumée. » C’était un cadeau singulier, dans une circonstance solennelle et à un prince de l’Eglise. Il fut remarqué ; sa familiarité, venait à l’appui des bruits d’après lesquels il se préparait une alliance entre la maison de France et celle du tout-puissant ministre. On disait dans le public que le mariage de Gaston avec une Lorraine ne serait jamais reconnu et que le jeune prince achetait son pardon en épousant une nièce du cardinal. Mademoiselle voyait déjà son père déshonoré : « Je n’étais pas tellement occupée de mon jeu, que, lorsqu’on parlait de l’accommodement de Monsieur, je ne fusse bien attentive. Le cardinal de Richelieu, qui était le premier ministre et le maître des affaires, le voulait être absolument de celle-là ; et c’était avec des propositions si honteuses pour Monsieur, que je ne les pouvais seulement entendre sans être au désespoir. Il faisait dire que, pour faire la paix de Monsieur avec le roi, il fallait rompre son mariage avec la princesse Marguerite de Lorraine, et lui faire épouser Mlle de