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épouvante pour filer au travers et disparaître. Pontis avait alors vingt-deux ans. Sa carrière militaire fut un tissu d’aventures du même genre. Devenu vieux, il se retira à Port-Royal-des-Champs, où les autres « Messieurs » prenaient plaisir à lui faire conter son histoire. Nicole s’est porté garant de sa véracité.

Arnauld d’Andilly n’a pas une biographie aussi romanesque. L’histoire de sa jeunesse, telle qu’il la raconte dans ses Mémoires, est néanmoins d’un vif intérêt, à cause des détails qu’elle nous donne sur l’éducation des fils de la haute bourgeoisie, aux environs de l’an 1600. Arnauld d’Andilly avait commencé le grec et le latin à la maison, sous la surveillance d’un père instruit. Vers la dixième année, les siens jugèrent le moment venu de mêler dans sa petite tête les réalités aux spéculations. Il était destiné aux « emplois civils. » Les journées furent coupées en deux, moitié pour l’étude désintéressée, moitié pour la pratique, et il fit son apprentissage de fonctionnaire sans que le thème ou la version y perdissent rien. La matinée resta consacrée aux leçons et aux devoirs ; elle était longue ; on se levait à quatre heures chez ses parens. L’écolier devint bon latiniste, et même bon helléniste. Il écrivait très proprement le français et avait de la lecture. Les dix ou douze gros volumes de ses œuvres sont là pour attester qu’il en savait beaucoup plus long que nos bacheliers, tout en ne sachant pas, ou guère, les mêmes choses. A onze heures il fermait ses dictionnaires, disait adieu à son précepteur et à la pédagogie, enfourchait un cheval et s’en allait à travers Paris chez l’un de ses oncles, nommé Claude, qui s’était chargé de lui apprendre ce qui ne se trouve pas dans les livres. Nos pères veillaient avec soin sur ces premiers contacts avec la réalité. Ils tâchaient de ne pas abandonner au hasard cette initiation, qui laisse presque toujours des traces ineffaçables. L’oncle Claude de la Mothe-Arnauld, « trésorier général de France, » installait son neveu dans son cabinet et lui donnait des dossiers à étudier. Il fallait que ce petit bonhomme de dix ans débrouillât une affaire et en rendît compte de vive voix. A quinze ans, ses classes étant terminées, un autre oncle, intendant des finances, lui fit mettre la main à la pâte dans ses bureaux. A seize, le petit Arnauld était M. Arnauld d’Andilly, chargé d’un service public, reçu à la cour, admis bientôt à assister derrière la chaise du roi au conseil des finances, pour entendre « opiner » et se former aux grandes affaires.

Une telle éducation n’était pas une exception. Les fils de la