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personne, faisant admirer les ressources de son esprit et la sûreté de son jugement. Il devint dans le même temps noctambule, par impossibilité de « demeurer longtemps en place[1]. » Il se déguisait, et menait pendant la nuit la même vie de bohème que ce miséreux de Gérard de Nerval. Il rôdait comme lui à pied dans les rues de Paris, qui étaient alors très obscures, très fangeuses, et très mal fréquentées après le coucher du soleil. Il racontait qu’il s’amusait à entrer dans les maisons et à s’inviter aux bals ou assemblées. On ne savait pas le reste ; mais les gentilshommes qui le suivaient pour le protéger laissaient assez entendre que ce reste n’était rien de bon. Gaston d’Orléans avait tous les traits de ce qu’on appelle aujourd’hui les dégénérés, à commencer par le débraillé moral. Un jour que Louis XIII reprochait à la reine, en présence de Richelieu, d’avoir voulu empêcher Monsieur de se marier, pour se le réserver si elle devenait veuve, Anne d’Autriche s’écria qu’elle « n’aurait pas assez gagné au change[2]. » La France non plus n’aurait pas gagné au change, et il est fort heureux qu’elle ait gardé son triste souverain.

L’enfant tant désiré par les uns, tant jalousé par les autres, fit son entrée dans le monde le 29 mai 1627. Au lieu d’un dauphin, on eut une fille, la Grande Mademoiselle. Le septième jour, la mère mourut. Louis XIII lui commanda des obsèques royales et vint lui jeter de l’eau bénite en cérémonie, tout soulagé de ne pas avoir de neveu. Anne d’Autriche assista incognito à la pompe funèbre, action qui fut interprétée diversement ; les gens sans malice y virent une preuve de la compassion que lui inspirait cette mort en plein bonheur, les autres un signe qu’elle songeait vraiment à épouser son beau-frère, si elle devenait veuve. La reine mère fut sincèrement affligée ; elle avait une préférence avouée pour son second fils, et l’essor du duc d’Orléans avait chatouillé agréablement son cœur. Richelieu eut des paroles de regret pour une princesse qui ne s’était jamais mêlée de politique, et Monsieur fut tel qu’on pouvait s’y attendre ; il pleura beaucoup, se consola vite, et s’enfonça dans la débauche.

La cour exécuta les volte-face exigées par les circonstances. Quelles que fussent les réflexions de chacun sur le parti à tirer de la catastrophe ou sur les regrets à en avoir, on tombait d’accord que la petite duchesse de Montpensicr était fort chanceuse

  1. Mémoires de Gaston.
  2. Motteville.