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M. Massenet s’est soumis à cette convention déplorable. Mais, au premier acte du moins, il a permis à la fée de prendre et de garder un moment, entre deux tours de force ou d’agilité vocale, une gracieuse et simple attitude. Je songe à la très expressive, très touchante cantilène : Je veux que cette enfant charmante, où la virtuosité laisse quelque place à la nature et à la vérité. Quant au finale, depuis la remise de la pantoufle jusqu’au départ de Cendrillon, c’est ici que la féerie des sons égale vraiment celle du sujet. Sans vocalises, hormis deux gammes légères et d’un style très pur, par l’éclat des idées, la transparence des harmonies (voir la délicieuse dégradation chromatique, lorsque Cendrillon chausse la pantoufle), par la verve et l’allure des rythmes, par les tintemens d’un orchestre d’argent et de cristal, cette musique éblouit et tourne la tête. Je ne sais rien de pimpant et d’alerte comme la mise en carrosse, au milieu des rires et des cris joyeux, de la mignonne princesse. Tout est compris, exprimé, jusqu’à cette bouffée d’ivresse légère qui monte au cœur d’une enfant partant pour son premier bal ; tout, jusqu’à l’équipage pittoresque et minuscule, dont on entend sonner les grelots et claquer le fouet. Avec cela, rien de vague ni de lâche : toute la précision possible unie à toute la fantaisie imaginable. Après un tel début, on pouvait tout espérer et, comme on dit familièrement, se croire « parti pour » un chef-d’œuvre. On n’y est peut-être pas arrivé, et c’est dommage, mais le départ du moins a été quelque chose de délicieux.

L’exécution musicale de Cendrillon est excellente ; la représentation visible (mise en scène, décors, éclairage surtout) en est merveilleuse. Mlle Guiraudon (Cendrillon) est touchante à souhait. M. Fug7re, tour à tour attendrissant et spirituel, continue d’être seul, parmi nos chanteurs, à connaître le secret de


Cette douce ivresse
Où la bouche sourit et les yeux vont pleurer.


Mme Deschamps-Jehin, au contraire, ignore ce mélange ou cette conciliation. Elle a plus que jamais dans la voix et dans le talent quelque chose d’entier ou d’absolu. Mme Bréjean-Gravière, la fée, « incarne » le personnage avec opulence et le chante avec infaillibilité.


CAMILLE BELLAIGUE.