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« par une clémence intempestive, par une fatale générosité. » Le noir ne respecte que la force, il méprise qui le ménage, il n’a de considération que pour les maîtres inexorables, à la main pesante ; il regarde « comme un signe de lâcheté fieffée l’emploi de ces méthodes de persuasion morale que nous croyons justes et humaines. » Malheureusement, certaines exécutions sommaires, ordonnées par le capitaine Lendy, avaient scandalisé quelques cœurs sensibles, et il fut mandé à Londres pour y rendre des comptes. Selon toute apparence, il eût été acquitté, s’il n’était mort dans la traversée. Toutefois, on jugea prudent d’huiler un peu les ressorts, de détendre la corde, d’user provisoirement de procédés plus conformes aux superstitions humanitaires, et dès lors l’insolence des indigènes se permit tout ; les attentats, les crimes se multiplièrent, tant la pitié est un sentiment trompeur, tant il est vrai que la philanthropie est une insigne duperie.

Le premier article du code colonial de M. Brown est qu’on ne fait pas une omelette sans casser des œufs, qu’on ne fonde une colonie qu’en cassant beaucoup de têtes, et qu’une tête couverte de cheveux crépus ne vaut pas un œuf. M. Brown est un Américain qui a marché dans l’ombre de M. Cecil Rhodes. Fervent partisan de l’impérialisme anglo-saxon, il déclare qu’il y a une race supérieure destinée à posséder la terre, que tout lui est dû sans qu’elle doive rien à personne, qu’elle connaît seule les secrets conseils de la Providence, dont elle est l’instrument, que, partant, ses intérêts sont de droit divin, que les verges dont elle frappe les peuples sont sacrées. Ce n’est pas une opinion, c’est un dogme. On assure que la rébellion des Matabélés fut réprimée par des moyens qu’interdit la guerre moderne, tels que l’emploi de la dynamite dans des mines savamment préparées ; on assure aussi que les chefs militaires et civils donnèrent l’ordre de détruire les céréales, qu’ils décrétèrent la famine. Informée de ces incidens, l’Angleterre s’émut, s’indigna de nouveau ; mais cette fois encore, elle s’indigna en pure perte, et ses anathèmes demeurèrent sans effet.

M. Brown est fermement convaincu que tous les moyens sont bons pour réprimer les rébellions ; mais, n’étant pas sanguinaire de son naturel, il convient que, dans beaucoup d’occasions, il vaut mieux les prévenir, qu’à cette fin il faut tenir l’indigène de très court, sans jamais s’apprivoiser avec lui. Son intérêt même exige qu’on le gouverne le bâton haut, « car c’est une loi de l’inexorable progrès que les races inférieures sont faites pour se mettre au service des races supérieures, et que, si elles refusent de les servir, elles sont condamnées fatalement à disparaître. »