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M. Brown éprouva, nous dit-il, une fièvre d’émotion qu’il n’avait jamais ressentie. Il n’était plus un naturaliste, mettant sa gloire à tuer et à dépouiller des élans, des antilopes ou des zèbres pour en décorer les galeries du musée de Washington. Il avait travaillé à la création d’un empire ; pour la première fois de sa vie, il avait fait de l’histoire, et il décida qu’il ne quitterait pas l’Afrique avant d’avoir vu jouer jusqu’au bout le premier acte de la glorieuse pièce où sa destinée lui avait assigné un rôle : « Qu’en moins de dix années, s’écrie-t-il, un désert au cœur de l’Afrique se soit transformé en un pays pourvu de toutes les commodités de la civilisation, c’est une des merveilles de notre âge de progrès. En 1890, les pionniers de la Compagnie britannique du Sud avaient parcouru sur des chariots traînés par des bœufs une distance d’un millier de milles au delà des frontières de la colonie du Cap, pour prendre possession d’une contrée habitée par des bêtes féroces et des sauvages farouches. Aujourd’hui, l’intrépide Anglo-Saxon a pris pied à jamais dans cette région, avec sa langue, ses lois, ses coutumes et tout le décor de la civilisation. Dans des villes importantes, formant le centre de grands districts agricoles et miniers, nous trouvons des églises, des écoles, des bibliothèques, des clubs, des journaux quotidiens et hebdomadaires, des tribunaux, des prisons et l’Armée du Salut. Les fils du télégraphe ont depuis longtemps mis les habitans de ce pays en communication rapide avec toutes les parties du monde civilisé, et des voies ferrées, remplaçant les porteurs indigènes et les attelages de bœufs, les transportent à leur gré sur les rivages de l’Atlantique ou de l’Océan Indien. »

L’Américain aime à changer de métier, il se flatte de posséder l’outil universel. En 1894, M. Brown renonça à ses fonctions de collectionneur, il résolut d’exploiter lui-même la ferme qui lui avait été allouée à cinq milles de Salisbury. Il n’avait pas le gousset très garni, mais n’inspirait confiance aux prêteurs. Il avait à cœur d’arrondir ses terres ; ses ambitions croissant de jour en jour, il rêvait de posséder cent mille acres. Cependant, fût-on Américain, on ne fait pas tout ce qu’on veut : il dut rabattre de ses présentions, se contenter d’un misérable domaine de douze mille acres. Une partie seulement de la Rhodesia est habitable pour l’Européen qui ménage sa santé. C’est un plateau s’élevant de trois à six mille pieds au-dessus du niveau de la mer ; les fièvres y sont moins communes et moins dangereuses qu’ailleurs, quelques districts en sont tout à fait exempts. Ce plateau se prête à merveille à l’industrie agricole : il s’y prêtera davantage encore, le jour où, les communications devenant de plus en plus faciles, il ne tiendra