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fortifier ; — et, pour notre part, nous les combattrons. Nous les combattrons au nom des droits de l’homme et du citoyen ! Nous n’admettrons pas que « le droit d’enseigner » fasse en quelque manière partie de la définition du droit de l’État, ni surtout qu’il soit une attribution essentielle du pouvoir ou de la souveraineté. Le droit de l’Etat, à notre avis, ne va pas ici plus loin que son devoir, qui est, partout, et surtout en démocratie, « de fixer l’objet de l’instruction, et de s’assurer qu’il est bien rempli. » La formule est de Condorcet, qui ajoutait, quoique Jacobin : « La puissance publique ne peut pas établir un corps de doctrine qui doive être enseigné exclusivement. » Mais, quelque opinion très nette et très arrêtée que nous professions sur tous ces points, nous reconnaissons qu’on en peut avoir une contraire ; que, pour soutenir cette opinion contraire, les argumens ne feraient point défaut ; que les meilleurs d’entre eux ne manqueraient ni de force en soi, ni d’à-propos ou d’opportunité. Tout ce que nous demandons, c’est que ceux qui sont de cette opinion le disent ; c’est qu’ils la soutiennent à découvert et de face, pectore advorso, comme disaient les anciens ; c’est enfin qu’ils ne masquent point des desseins politiques sous une vaine apparence de prendre aux questions d’enseignement un intérêt qu’ils n’y prennent point. Cet effort de franchise sera-t-il donc toujours au-dessus du pouvoir de nos hommes politiques ?

Un autre effort qu’on voudrait leur voir faire, non moins utile et non moins urgent, ce serait alors de distinguer et de séparer, dans leur esprit, comme dans leurs Rapports et leurs propositions de lois, les intérêts de l’enseignement d’avec ceux de l’Université. « Créez des corps enseignans, disait encore Condorcet.et vous serez sûrs d’avoir créé ou des tyrans ou des instrumens de la tyrannie. » Sans doute, il voulait dire que les intérêts propres et particuliers des grands corps ne se rencontrent pas toujours, ne coïncident pas toujours parfaitement avec les justes exigences des services dont ils sont chargés. Mais combien cela n’cst-il pas plus vrai d’un corps qui, comme l’Université de France, n’a pas en fait le monopole du service qu’il rend ; qui a des concurrences, partant des luttes à soutenir ; et dont la crainte, — je passe la parole à M. Pozzi, — « est de voir s’accroître la prospérité des établissemens rivaux des siens ? » Le même M. Pozzi dit encore assez naïvement : « L’Université a le droit et le devoir de penser d’abord à elle, avant de songer à ses concurrens. » Ne dirait-on