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c’est ce qui en fait l’originalité et ce langage apocalyptique serait d’ailleurs parfaitement inintelligible à qui ne connaîtrait pas la dernière partie de l’œuvre de Michelet. « Cette chose, la seule que je voudrais te donner en ce monde, la seule vraiment digne de toi, ce serait que par moi le monde aimât encore, qu’il fit un pas du moins hors des haines aveugles, violentes, où nous le voyons engagé, que les hostilités dans le peuple contre le peuple et les hostilités de classes disparussent. Je ne puis l’espérer encore, mais au moins qu’elles diminuassent, qu’il y eût quelque rapprochement des âmes et que non seulement ici, mais par toute la terre, commençât la Grande Amitié... Il faut que la grande amitié pour gagner le monde commence en un cœur d’homme, que l’étincelle du feu sacré qui va de proche en proche réchauffer ce monde en substituant à la haine l’amour couve d’abord au plus étroit foyer... Ce cœur est-ce le mien ? Et cet homme est-ce moi ? Hélas ! je me sens bien peu digne, bien plus artiste, bien plus sensible que bon. » C’est en ce sens que Michelet conçoit que toute l’histoire du monde puisse aboutir et tout l’avenir de l’humanité commencer à son mariage avec M Ue Mialaret. Le second mariage de Michelet a-t-il eu d’ailleurs pour les destinées de l’humanité les conséquences que Michelet en attendait ? Et que vaut la théorie de l’amour qui s’exprime ou qui se cache dans ce langage tout imprégné de mysticisme théologique ? La question est trop considérable pour qu’on puisse se permettre de l’aborder de biais et à propos d’une correspondance intime. Je n’ai voulu que montrer toutes formées déjà chez Michelet les théories qui plus tard s’épanouiront dans les livres de l’Amour et de la Femme.

Il serait singulièrement inexact, d’ailleurs, de prétendre que Mme Michelet n’ait pas eu une grande influence sur les idées mêmes de son mari et sur le développement de son talent. D’abord, on sait la place considérable, énorme, hors de toute proportion que tiendront, même dans les écrits historiques de Michelet postérieurs à 1850, les considérations amoureuses. Ensuite, Mme Michelet aimait beaucoup la campagne ; elle y avait été élevée, elle avait trouvé une grande douceur dans ses tête-à-tête avec la nature. Elle s’étonnait que Michelet n’eût pas mêlé davantage la nature à ses études. C’est elle qui l’a aidé à se détourner de la « sauvage histoire de l’homme » pour se rafraîchir dans la contemplation des harmonies naturelles. Elle l’a amené à découvrir l’âme confuse répandue parmi les bêtes et jusque dans les plantes et dans les élémens. Elle a été de toutes manières sa collaboratrice pour l’Oiseau, l’Insecte, la Mer, la Montagne.