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des glaces qui dansaient le long du rivage martelé. La Chose avait disparu, et Kotuko, accroupi autour de la lampe, parlait avec exaltation de son pouvoir sur les esprits, quand, au milieu de ses paroles égarées, la jeune fille se mit à rire et à se balancer d’arrière en avant.

Derrière son épaule, deux têtes, l’une jaune et l’autre noire, entraient en rampant tout bas dans la hutte, les têtes des deux chiens les plus penauds, les plus honteux qu’on ait jamais vus. L’une appartenait à Kotuko, le chien, et l’autre au conducteur noir. Tous deux étaient gras à présent, bien portant, et tout à fait revenus à leur état normal, mais accouplés l’un à l’autre de la plus étrange façon. Lorsque le conducteur noir s’enfuit, il avait encore, vous vous en souvenez, son harnais sur le dos. Il devait, après avoir rencontré Kotuko le chien, s’être amusé ou battu avec lui, car son nœud coulant d’épaule s’était pris dans le fil de cuivre tressé du collier de Kotuko, et s’était serré à fond de telle sorte qu’aucun d’eux ne pouvant atteindre le trait pour le ronger, chacun restait attaché flanc contre flanc, au cou de son voisin. Cela, joint à la liberté de chasser pour leur propre compte, devait avoir contribué à les guérir de leur folie. Ils semblaient, en effet, on ne peut plus raisonnables.

La jeune fille poussa du côté de Kotuko les deux animaux qui faisaient honteuse mine, et, avec des sanglots de rire, s’écria :

— Voilà Quiquern, celui qui nous a conduits à la terre. Regarde ses huit jambes et sa double tête !

Kotuko, à l’aile de son couteau, leur rendit la liberté, et ils se jetèrent dans ses bras, le jaune et le noir ensemble, en essayant d’expliquer comment ils avaient recouvré la raison. Kotuko passa la main le long de leurs côtes arrondies et bien en chair :

— Ils ont trouvé à manger, dit-il avec un sourire. Je ne crois pas que nous allions si tôt à Sedna. C’est ma tornaque qui me les a envoyés. Ils sont guéris de leur mal.

A peine eurent-ils salué Kotuko de leurs caresses, que ces deux animaux, qui avaient été forcés de dormir, de manger et de chasser ensemble pendant les dernières semaines écoulées, sautèrent à la gorge l’un de l’autre ; et la maison de neige fut témoin d’une belle bataille.

— Des chiens à jeun ne se battent pas, dit Kotuko. Ils ont trouvé du phoque. Dormons. Nous trouverons à manger.

A leur réveil, la mer libre battait la grève nord de l’île, et