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en effet, n’a rien du prêteur sur gages qui ne songe qu’à dépouiller ses victimes ; il est une institution de crédit à laquelle non seulement le Chinois pauvre, mais celui de classe moyenne, ont constamment recours ; aux uns, il donne de quoi vivre deux ou trois jours, attendre un gain inespéré ; aux autres, il fournit le moyen de subvenir aux frais d’un enterrement, de monter un petit commerce ; il sert de lieu de dépôt pour un objet difficile à garder : quelques personnes, dit-on, y mettent leurs fourrures pendant l’été et font fructifier l’argent qui leur est prêté en échange. Péking a une vingtaine de monts-de-piété fondés au XVIIIe siècle par l’Intendance de la Cour et demandant un intérêt réduit ; il en a un très grand nombre d’autres appartenant à des particuliers : un homme du Chan si en possède jusqu’à cinquante, beaucoup de capitalistes en ouvrent à la fois trois ou quatre. Il en est de même dans tout l’empire, et il n’est pas de bourgade ou de village qui ne compte un ou deux établissemens de ce genre. Par leur nombre, par la modicité des intérêts exigés[1] (1 à 3 p. 100 par mois, suivant la valeur du gage et sa nature), par la durée des prêts (trois ans), par les facilités du rachat possible à tout moment sans délai contre restitution de la somme prêtée et des intérêts (encore en calculant ceux-ci, néglige-t-on toute fraction de moins de cinq jours et au-dessous), par la réduction des intérêts échus pour les retraits opérés à la douzième lune ‘par là on donne facilité aux pauvres gens d’avoir leurs meilleurs vêtemens, leurs parures pour les fêtes de la nouvelle année), par le taux élevé du remboursement en cas de perte du gage (double de l’estimation), ces institutions de crédit rendent les plus grands services au peuple chinois ; elles sont nécessaires à sa vie, et l’on s’explique que, par une dérogation à ses habitudes, l’administration les surveille et les favorise. La corporation reste, d’ailleurs, maîtresse chez elle, sauf sur les deux ou trois points indiqués ; elle fixe, suivant ses intérêts, les conditions des transactions et recourt, en temps de crise, pour forcer la main aux mandarins, aux mêmes moyens que toutes les autres associations : nous verrons tout à l’heure quels ils sont.

La Chine a, d’autre part, à l’usage des capitalistes gros et petits, de nombreux établissemens de crédit qui se rapprochent beaucoup plus des nôtres ; on peut les ramener à trois types principaux,

  1. Ici et plus loin je ne donne des chiffres que sous toutes réserves ; exacts pour Péking il y a quelques années, ils sont susceptibles de beaucoup de variations.