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Et je te vois déjà comme si dans un rêve,
Eblouie et fatale en ta haute beauté,
Riante, tu passais le seuil qui surélève
Le palais vaste encore et plus tard dévasté.

Mais l’heure triomphale, amoureuse et lointaine,
N’est pas encor venue au-devant de tes pas,
Et l’écho doux qui vibre au chaste nom d’Hélène
Le répète à mi-voix et le redit tout bas ;

Le bruit des boucliers et le fracas des armes
Sommeille en l’avenir peut-être au loin grondant ;
Et la rosée encor pleure les seules larmes
Dont se mouillent ta joue et tes lèvres d’enfant.

Le murmure de l’eau fidèlement furtive
Berce ta solitude et charme ton repos,
Et les cygnes amis de l’onde et de la rive
Troublent seuls le sommeil des nénufars mi-clos.

Les oiseaux familiers, lorsque tu les appelles,
Accourent à ta voix et viennent jusqu’au bord
Enlacer de leurs cols et frôler de leurs ailes
La grâce de ton geste et l’attrait de ton corps.

Ils semblent saluer en ta beauté divine
Le souvenir, déjà fabuleux et lointain,
De celle qui pressa sur sa blanche poitrine
L’un d’eux plus éclatant qui jadis fut divin.

C’est pourquoi, si tu viens vers la berge de l’anse,
Les blancs oiseaux sacrés s’empressent près de toi
Et la troupe orgueilleuse et flexible s’avance
En suivant le premier qui de loin t’aperçoit.

Regarde-le, fendant de sa gorge renflée
L’eau qu’il coupe, divise, et pousse devant lui ;
Regarde. Il vient vers toi avec sa proue ailée
Le vaisseau de demain, cygne encore aujourd’hui.