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faillit paralyser la bonne volonté de Palmerston. Tout à coup, les personnages les plus graves, les plus vénérables par l’âge, par l’expérience ou par la sagacité, les lords Ellenborough, Howden, Hardwicke, et le plus considérable d’eux tous, Lyndhurst, avertirent la Chambre des lords (1er et 5 juillet) que, d’après les renseignemens les plus sûrs, le peuple français entier désirait une invasion, y rêvait nuit et jour, non pour conquérir l’Angleterre, mais pour l’humilier et la déshériter du privilège d’être parmi les nations la seule dont le sol fût inviolé. Pas une veuve française qui ne fût prête à donner son dernier fils, pas un mendiant son dernier sou pour se procurer cette immense béatitude ! Les Français construisaient à Brest des steamers pouvant contenir 2 500 hommes ; une flotte de débarquement était en préparation ; le dernier ambassadeur de France était allé se promener à Portland, pourquoi ? évidemment pour reconnaître les fortifications. On pouvait se réveiller un matin avec une armée sur le sol anglais : il fallait armer, construire des vaisseaux, réunir des milices. La moindre réflexion suffisait à démontrer que si, en effet, le peuple français et son Empereur étaient possédés de la frénésie de souiller le sol vierge d’Albion, ils n’auraient pas choisi le moment où, le principal de leurs forces étant engagé contre l’Autriche, ils étaient menacés d’avoir la Prusse et l’Allemagne sur les bras ; ils se seraient passé cette fantaisie deux ans plus tôt, alors que l’Angleterre étant paralysée par la révolte des Indes, eux avaient, au contraire, la libre disposition de leur armée et de leur flotte. Lord Brougham, qui nous connaissait bien, vivant une partie de l’année à Cannes, affirma, il est vrai, qu’aucun acte de l’Empereur n’exciterait une plus grande indignation, dans toutes les classes du peuple français, qu’une guerre avec l’Angleterre ; néanmoins il se crut obligé, lui aussi, de demander une augmentation des forces de terre et de mer.

Sir Charles Napier exprima à la Chambre des communes le désir qu’on y entendît des discours pareils à ceux qui avaient retenti dans la Chambre des lords ; il ne tarda pas à être satisfait. Graham, Horseman et autres dénoncèrent l’invasion préparée ostensiblement et demandèrent des arméniens. Dans les deux Chambres, les membres du gouvernement, Granville et Russell, essayèrent de calmer ces appréhensions folles et de montrer le péril de suppositions aussi injurieuses et aussi gratuites contre un peuple et un gouvernement amis. Les effarés ne consentirent pas à être rassurés ;