Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 153.djvu/486

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

beau désarroi. Il y avait, surtout, le parti politique auquel Marie de Médicis s’était livrée en se donnant à d’Epernon : les Grands, les protestans, en un mot les adversaires du pouvoir royal. Or, Richelieu, tout en jouant le jeu de la Reine, qui plus que jamais était son jeu à lui, songeait déjà à ne rien faire qui pût contrarier sa destinée de futur chef du gouvernement.

Ainsi, il embrassait, d’un coup d’œil, les difficultés qui lui venaient de la Cour de Paris et de la Cour d’Angoulême. À Paris, c’étaient ses adversaires, c’était Luynes, qui le ramenaient et qui comptaient sur lui ; à Angoulême, c’étaient ses amis et presque ses complices qui étaient ses plus dangereux adversaires.

Cependant, tout va dépendre de sa première démarche. Du pied dont il va partir, il s’engage dans le chemin qui, d’étape en étape, le conduit au cardinalat, au pouvoir, à la domination définitive sur l’esprit du Roi et finalement à l’apogée de sa carrière politique. La scène est préparée, les perspectives se dessinent et, même, on reconnaît, autour des principaux acteurs, tout le personnel des grandes crises lointaines et, notamment, celui qui accompagnera la Reine-Mère jusqu’à la journée des Dupes.

Les réflexions de l’exil n’avaient pas été perdues pour Richelieu. Il avait pesé tout ce monde, au milieu duquel il allait vivre, et qui devait servir d’instrument à son ambition : ce que valait Marie de Médicis, et dans quelle mesure il pouvait compter sur elle, son jugement froid l’avait discerné ; ce que valaient les hommes qui entouraient la Reine, quelles étaient leurs idées, leurs ambitions, où ils prétendaient conduire leur maîtresse et le pays, il le savait ; ce qu’il fallait dire et ce qu’il fallait taire, à quoi il fallait se prêter et où il convenait de se retenir, il le savait ; et ce n’est pas le moindre mérite de cette étonnante capacité politique que d’avoir su vivre dans le présent, assurer le succès de chaque jour et ménager le triomphe définitif, sans engager à fond les responsabilités du lendemain. Douze ans de luttes cachées étaient en germe dans les réflexions de cette heure unique. Il se plongeait, en connaissance de cause, dans le parti pris d’une si longue contrainte : on dirait que les tempéramens de cette trempe se plaisent à ce qui ferait l’amertume et le désespoir quotidien d’une vie ordinaire.

Le résultat de ses réflexions, Richelieu le fixa, en cours de route, sous la forme d’instructions rédigées en grande hâte et destinées à un émissaire qu’il envoya vers la Reine pour préparer