Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 153.djvu/451

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le premier acte de Guillaume Tell est beau comme le jour, le second est beau comme la nuit. Il n’y a de changé que l’heure, et la paix de la musique en est encore redoublée. L’admirable scène du Grütli se déroule tout entière sans qu’un souffle de colère, sans qu’un cri de haine en altère la religieuse majesté. Je ne sais pas de musique plus noblement populaire, plus digne d’être proposée en exemple à la foule, plus capable d’exalter son âme sans la troubler. Des trois motifs annonçant l’arrivée des Cantons, pas un n’est vulgaire et pas un n’est irrité. Aucun non plus ne se hâte, et, dans l’immense finale, un seul épisode, fort court, est d’allure rapide, de rythme syllabique et pointé. Partout ailleurs la mélodie, le récitatif se déroule et s’étale ; tout est large, tout est lié, tout s’arrondit en phrases amples et pures, comme si la nature amie et saintement complice communiquait à ses fils, avec toute sa grandeur, toute sa sérénité. Quelle tentation pour le génie italien de finir ici par l’allegro, la cabalette ou la coda, celle de la Vestale ou du Siège de Corinthe ! Quelle merveille qu’il ait résisté, qu’il ait élargi cette péroraison jusqu’aux proportions de l’apothéose ! Meyerbeer, un jour, après la bénédiction des poignards, précipitera le mouvement ; il fera sonner une charge féroce par des trompettes que Shakspeare aurait pu nommer « hideuses. » Mais les trompettes de Rossini retentissent sans fureur. Calmes, joyeuses et presque sacrées, elles n’appellent aux armes que pour la justice et la liberté.

Qu’on ne se méprenne pas au moins, et quand nous parlons du bonheur tel que l’exprime, dans Guillaume Tell, le génie rossinien, qu’on ne le confonde pas avec une légère et frivole gaieté. En cette joie sérieuse et profonde, il arrive que le rêve ou le mystère même entre comme élément. Le quatuor des violoncelles au début de l’ouverture, certain salut de Guillaume à Melcthal : De l’âge et des vertus c’est le saint privilège ! l’allocution nuptiale de Melcthal aux couples qu’il vient de bénir, le petit chœur de la chapelle et le simple prélude de : Sombres forêts ! autant de pages, ou de passages seulement, qu’il est difficile d’entendre sans un vague désir de larmes. Musique heureuse pourtant, où rien n’attriste, mais où quelque chose attendrit. Et cette mélancolie n’est qu’une douceur de plus ; elle achève notre enchantement. Le génie antique lui-même ne l’a pas toujours ignorée, et, s’il faut en croire les poètes, l’archer divin la ressentit après sa victoire. Qu’une fois au moins Rossini l’ait connue, c’est une preuve dernière qu’il était bien de la race des dieux, et que, pour avoir fait Guillaume Tell, il mérita d’être appelé l’Olympien.

La présente exécution de Guillaume Tell à l’Académie nationale de