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vous tirez de tous les accidens qui arrivent, et je ne doute pas que votre esprit ait été tout en Dieu, à son ordinaire, durant que vous avez vu réciter la comédie chez l’ambassadeur de France, et que les deux demoiselles qui y ont récité et sont accoutumées de donner tant de plaisir à tout Rome, ne vous aient donné de la mortification en attirant vos yeux sur elles. Mais je m’imagine qu’elles se vont bientôt consigner entre les mains du cardinal Barberini pour être mises dans les converties après être sorties des vôtres… Je sais, il y a longtemps, que je dois mourir, et quand le Père Zucchi ne m’en aurait jamais parlé, je n’aurais pas laissé d’en être persuadée; c’est pourquoi je vous prie de ne me faire plus de sermons là-dessus, car je n’aime pas les homélies… Votre lettre du 15 janvier me fait connaître que vous êtes enfin devenu saint tout de bon et je m’en réjouis avec vous. Je vous promets de travailler durant votre vie au procès de votre canonisation, à condition qu’après ma mort vous travailliez au mien. » Aux ironies succèdent les amertumes : « Vous ne haïssez rien tant que ma présence; mais n’en parlons plus, vous êtes pour longtemps hors de danger… Si Hambourg n’est pas assez éloigné de Rome pour satisfaire à votre cruauté, j’irai au bout du monde pour n’en revenir jamais. »

Le roi de Pologne, Jean-Casimir, ayant annoncé son intention d’abdiquer, elle avait posé sa candidature au trône vacant. « Si Dieu m’appelle à ce trône, disait-elle, j’espère de faire parler de moi et d’y acquérir de la gloire. » Mais elle ajoutait : « S’il le veut autrement, je serai contente aussi. » Ardente à former des projets, prompte à s’en dégoûter, ses plus beaux desseins n’étaient que des passe-temps destinés à tromper son éternelle inquiétude, et on a eu raison de dire que le résultat le plus net de toutes ses entreprises était un insuccès et des montagnes de papier. Le cardinal avait pris à cœur l’affaire de Pologne ; ce secrétaire d’État du pape Clément IX s’était remué, agité pour assurer à Christine la succession de Jean-Casimir. Il est permis de croire que, dans cette occurrence, il s’occupait moins de lui être agréable que de l’éloigner. Elle s’en doutait : « J’ai quasi envie de me plaindre de vous et de l’empressement que vous avez pour l’affaire. Est-ce que vous avez envie de vous défaire de moi ? » Et elle lui signifiait qu’elle entendait l’emmener à Varsovie, qu’il serait son Mazarin, que, lui offrit-on la couronne de l’univers, elle refuserait tout plutôt que de renoncer aux douceurs de sa société. Plaignons le cardinal Azzolino. Sa turbulente et orageuse maîtresse, qui parlait couramment huit langues, ne sut jamais parler celle de l’amour. Le charme lui manquait; dans les momens où elle est le plus femme, quelque chose nous fait souvenir