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dans cette vue que je me suis déterminé à donner le dernier sénatus-consulte. Mon but principal a été d’assurer et d’augmenter ma puissance. Si cela ne réussit pas à mon gré, j’y substituerai autre chose. Je veux cependant bien consentir à mettre quelques barrières au pouvoir absolu, mais après moi seulement. Tant que j’y serai, je prétends être maître. On m’a présenté des milliers de projets ; je n’en ai point trouvé qui eussent le sens commun. On ne se fait pas une idée de la difficulté qu’il y a à gouverner: il faut être au timon des affaires pour le sentir. La politique extérieure est bien plus facile. Quand il y a quelque chose à régler au dehors, j’écris aux deux empereurs et au roi de Prusse, et nous arrangeons tout cela ensemble.

— Vous n’ignorez pas, général, que l’Angleterre se plaint beaucoup de cette manière de négocier, trop expéditive à son gré, et que ce n’est qu’avec dépit qu’elle se voit en quelque sorte exclue des affaires du continent.

— Il est vrai que j’ai borné singulièrement son rôle; mais c’est à cela qu’il fallait la réduire. Elle ne doit être désormais qu’une puissance de second ordre. D’ailleurs, on ne peut en finir avec ce gouvernement-là. C’est un véritable directoire dont il faut attendre les délibérations et aux formes duquel il semble que l’Europe soit obligée de s’astreindre. J’ai appris aux puissances continentales à se passer d’elle. Ce n’est pas néanmoins que je tienne beaucoup à ces dernières. Il n’y a aucun fonds à faire sur toutes ces vieilles monarchies d’Europe. Le doigt de Dieu est évidemment sur elles et leur chute est certaine. »

Il n’a pas dit un mot du Roi, ni des princes. Il n’a marqué aucune prévention contre les royalistes. Il a même expressément témoigné qu’il accordait peu d’importance à la diversité des opinions politiques.

On ne peut s’empêcher d’admirer la confiance et l’orgueil qui dominent cet homme extraordinaire. Plus on l’observe, plus on se persuade qu’il n’est réellement qu’un instrument dans les mains de la Providence, qu’une verge dont elle se sert pour châtier le monde et qu’elle brisera ensuite au temps marqué dans ses décrets. Le temps est-il encore bien éloigné? Il n’est certainement pas au pouvoir de l’homme d’en fixer l’époque, mais, en rapprochant toutes les probabilités qui naissent de la marche des choses, on peut conjecturer avec quelque vraisemblance que ce colosse effrayant finira par succomber sous son propre poids.