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de la réparer. Au bout de quelque temps, le grand voyer lui fit dire de s’en occuper. M. de Saint-Germain représenta que la chose lui paraissait inutile, puisque, disait-on, le gouvernement allait faire démolir sa maison avec beaucoup d’autres. Le grand voyer insista et prétendit que, la maison dût-elle être démolie, la sûreté publique n’exigeait pas moins qu’on la consolidât jusqu’au moment de sa destruction. M. de Saint-Germain se rend et met les ouvriers en train. Les réparations s’achèvent et on l’indemnise, de manière cependant que la moitié des frais reste encore à sa charge; mais ce n’était là qu’un petit malheur. Six semaines après, on lui déclare que le gouvernement se rend acquéreur de sa maison et on lui signifie qu’il ait à l’évacuer, parce qu’elle va être démolie. M. de Saint-Germain résiste ; il veut au moins faire marché; on lui répond qu’il ait à déposer dans certains bureaux tous ses titres de propriété et qu’on s’occupera ensuite du marché. Le marquis s’obstine. Enfin, un beau jour, on lui envoie des ouvriers pour commencer la démolition ; il s’y attendait, il reçoit les maçons avec un pistolet dans chaque main, il les met en fuite ; mais, le soir même, on les lui renvoie avec cinquante hommes armés et il fallut bien battre en retraite. Ce n’est pas tout : la démolition achevée, on a fait évaluer les matériaux ; il y en avait pour 19 000 francs : on les a adjugés à M. de Saint-Germain, à compte du prix de sa maison démolie. Ce n’est pas tout encore; on a évalué aussi les frais de la démolition ; ils montaient à 22 000 francs; on les a portés également en compte de M. de Saint-Germain, et comme ils surpassent de mille écus la valeur des décombres, cette somme sera déduite sur le marché général et il se trouvera que M. de Saint-Germain aura préalablement payé mille écus pour avoir le plaisir de voir sa maison démolie. On dit pourtant que tous les propriétaires qu’on chasse de chez eux ne sont pas traités avec ce raffinement d’injustice ; on se contente de leur faire déposer leurs titres et même on leur promet de les payer; ce qui sans doute est très consolant pour ceux qui auront assez de protection pour que leurs créances ne soient pas jetées dans l’arriéré. On dit que le petit calcul de démolition n’a été fait avec M. de Saint-Germain que pour le punir de sa rébellion à l’injustice, mais il faut convenir aussi que jamais acheteur de spoliatrice mémoire n’imagina rien de plus ingénieux.

Un jurisconsulte n’est pas obligé de savoir l’histoire naturelle ; c’est ce que vient de nous prouver un membre du tribunal de cassation.