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jusqu’à une heure et demie, avant de se rendre à la chapelle où il devait célébrer.

Le vendredi suivant, autre acte militaire aux dépens des plaisirs publics. Dès l’avant-veille, les Bouffons avaient annoncé qu’ils donneraient ce jour-là la première représentation de l’Inganno felice, opéra délicieux de Paesiello. Le jeudi, l’affiche avait confirmé cette annonce. Les loges étaient louées, les places retenues. Le vendredi à dix heures du matin, Bonaparte envoya chercher toute la troupe pour jouer les Noces de Dorine à la Malmaison. La plupart des spectateurs ne connurent leur déception qu’en lisant à la porte du théâtre l’affiche nouvelle. Ce fait, plus connu que le précédent, a produit une sensation très désagréable. On s’est rappelé que jamais nos rois n’avaient pris avec le public de pareilles libertés. On a cité un trait de Louis XIV qui gronda très sévèrement le Dauphin, son fils, d’être arrivé une demi-heure trop tard au spectacle et lui recommanda de ne plus faire attendre le public. En un mot, cet incident si léger en lui-même a renouvelé la comparaison si souvent reproduite de l’ancien régime avec le nouveau, comparaison où ce dernier a bien rarement l’avantage. Une chose assez frappante en ce qu’elle tient au caractère national, c’est que le mécontentement a été fort augmenté, parce qu’on a remarqué que Mme Bonaparte était absente et que le Premier Consul sacrifiait toutes les convenances à ses seuls plaisirs. Il semblait qu’on eût été moins disposé à le blâmer s’il avait eu la galanterie pour excuse.

Cette galanterie française, autrefois si justement célèbre, est encore le seul prétexte dont on puisse colorer les honneurs excessifs rendus à Mme Bonaparte, pendant son voyage à Plombières. Je ne sais si ceux qu’elle a reçus à Châlons ne surpassent pas ceux que l’on rendait autrefois aux reines. Elle en a récompensé le préfet, en faisant présent à sa femme d’un collier que l’on estime au-dessus de 500 louis. On prétend qu’elle n’a pas été aussi généreuse envers les pauvres qui entouraient sa voiture pendant toute la route, et qu’elle ne leur a presque rien donné. Cependant, cela est difficile à croire, car la générosité et la bienfaisance ont toujours été mises au nombre des qualités de Mme Bonaparte.


Paris, le 19 juillet 1802.

L’opinion publique ne paraît pas se décider en faveur de la Légion. On en parle peu, souvent on s’en moque, et les amis du