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Voilà terminée la partie ingrate de ma tâche, et il ne me reste plus qu’à louer abondamment la richesse de talent dont a fait preuve l’auteur de la Force. Il a d’abord de remarquables dons de peintre. Naguère il s’était amusé à un travail de reconstitution byzantine. Il nous avait montré la très pieuse Irène « assise sous les tendelets impériaux à l’extrême pointe du promontoire, dominant les eaux rapides du Bosphore, passant les soirs devant la féerie immortelle du ciel levantin à se voir refléter dans les vasques de métal poli, resplendissante comme la mère de Dieu, en la châsse pompeuse de ses vêtemens qui miraient les scintillantes étoiles à chaque facette de leurs joyaux uniques. » Cet art de ressusciter d’autres temps, d’autres mœurs, dans un cadre qui fait l’illusion d’être authentique, c’est une des parties les moins contestables du talent de M. Paul Adam. Peintre de décors, de costumes, d’attitudes, il sait reconstituer un milieu, créer une atmosphère à l’aide de traits patiemment recueillis, savamment choisis et rapprochés ; il évoque avec une rare intensité des images minutieuses et précises. Voici le salon d’une Merveilleuse, voici le Café de la Comédie, voici une rue du Vieux Paris avec l’échoppe des ravaudeuses et des vendeurs de chansons patriotiques. On se souvient des estampes de l’époque, on revoit les compositions des peintres de genre, les tableautins de quelque Boilly. De même qu’il indique l’air des ajustemens, l’arrangement des toilettes et la nuance des écharpes, l’écrivain reproduit le ton des conversations, le tour des propos, le mélange d’emphase et de sensiblerie. En contraste avec ces mignardises et ces mièvreries, il a pour rendre les scènes de guerre, une abondance, une fougue, une hardiesse, une inépuisable invention, une richesse de vocabulaire, une variété de ressources, un style concret où se dessinent les formes, se peignent les couleurs, se traduit le mouvement, s’entendent les piétinemens des chevaux, les cris des hommes, les plaintes des mourans, le crépitement des balles, la basse du canon, les mille voix résumées dans une clameur géante. Maints et maints épisodes se gravent pour toujours dans l’esprit : une poursuite effrénée, une charge, une débandade, la construction d’un pont sous le feu de l’ennemi. M. Paul Adam arrive à traduire l’âme même du combat, l’élan collectif, la colère de la mêlée, la rage de tuer, la griserie du sang, la fascination du danger, la panique soudaine qui affole un escadron de braves et les fait fuir devant un vieil officier de chevau-légers, dont s’allongent démesurément les bras verts, dont s’enflamment les mèches grises, dont la bouche s’incendie. Cela passe comme une chevauchée de cauchemar, cela trépigne, cela se heurte, crin hurle. Et c’est enfin l’enivrement du