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idée qui les organise, sans une foi éternelle qui les consacre. »

Rebuté par la personnalité sensuelle, profane et surtout égoïste, de la musique italienne, Mazzini se tourne vers l’école allemande. Là du moins, dans l’harmonie, dans la symphonie, dans les élémens composés et les forces collectives qui constituent le génie allemand, va-t-il trouver ce qu’il cherche sans trêve : une pensée humaine et religieuse à la fois, un idéal vraiment et largement social ? Oui sans doute. Il aimera la musique allemande, il la bénira pour tout ce qu’elle contient de pieux et de pur ; pour tout ce qu’elle enlève ou reprend à la matière, aux sens, afin de le rendre à l’esprit. Quand elle est mélodie, la musique allemande ne l’est point à la façon de la musique italienne. « Celle-ci définit la passion, elle nous l’impose et elle l’épuisé ; l’autre (l’allemande) nous la présente voilée, mystérieuse, telle enfin qu’elle ne nous laisse qu’un souvenir, avec le désir, le besoin même de rappeler et de reconstituer en nous son image. La mélodie italienne nous entraîne de force jusqu’aux dernières limites de la passion. La musique allemande est une musique de préparation… elle nous enveloppe, nous emprisonne dans un réseau de nuances et de gradations ; elle nous baigne et nous berce d’un flot harmonieux. Elle éveille notre âme et l’élève… Mais, quand elle s’est tue, nous retombons dans le monde réel avec la conscience d’un autre monde qu’on nous a montré de loin, sans nous y introduire, avec la conscience d’avoir touché, sans le franchir, hélas ! le seuil d’un grand mystère. Il manque à la musique italienne la pensée qui sanctifie toute entreprise, la pensée morale qui met en jeu les forces de l’esprit, l’idéal de la mission à remplir. Ce qui manque à la musique allemande, c’est l’énergie pratique et L’instrument matériel ; ce n’est pas le sentiment de la mission, mais c’en est en quelque sorte la formule. »

Tout cela sans doute est incomplet, souvent discutable, et plus souvent obscur. Plus d’un rayon, pourtant, traverse l’ombre et soudain l’illumine. Ici encore Mazzini a vu et prévu. « La musique allemande est une musique de préparation. » Ces mots, que nous avons soulignés à dessein, ne sont pas vrais de toute musique allemande ; ils le sont du moins de certaine musique, et le progrès, ou l’évolution de l’art germanique les a de plus en plus justifiés. Le génie d’un Bach, d’un Mozart, d’un Beethoven, autrement dit le génie classique, échappe à cette définition ; elle s’impose, au contraire, au génie d’un Wagner et de ses successeurs.