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lui propose, on la lui impose. Il est le « pionnier de la République, » c’est M. Buisson qui l’a dit ; il en est même le « levier, » le mot est de M. Steeg. Tout en le mettant en garde contre les meneurs politiques, M. Payot écrit que, pour l’instituteur, « le rôle d’éducateur se confond avec le rôle républicain, » et, lorsqu’il dirigeait les maîtres d’école de l’Ardèche, il écrivait au préfet et au conseil général : « Ce qui fait la force de l’instituteur laïque, dans ce pays si troublé, c’est qu’il représente la plus haute conquête de la Révolution. » L’inspecteur d’Académie de l’Aude, dans un rapport officiel, déclare que les instituteurs, « éducateurs des fils après l’avoir été des pères, doivent rattacher au gouvernement de la République les pères par les enfans, les enfans par les pères, et créer, selon le mot de Rœderer, une sorte de paternité publique. » Jetant un défi, il y a peu de mois, aux adversaires politiques contre lesquels ils avaient conduit la lutte électorale, les instituteurs des Basses-Alpes, réunis en un « banquet fraternel, » applaudissaient à ces paroles de l’un d’entre eux : « Nous représentons un régime qu’ils abhorrent, bien que le Christ fût républicain ! » Et, par-dessus ces voix d’inspecteurs généraux, d’inspecteurs d’Académie, d’instituteurs, plane, en sa majesté métaphorique et bizarre, une phrase fameuse de M. Combes, ministre de l’Instruction publique, aux maîtres d’école de la Seine : « Vous aurez bien mérité de la République, de la patrie, si vous parvenez à nous faire une génération coulée dans un moule qui porte, sur ses bords, la noble image de la République. »

Nature énergique et franche, qui ne comprend rien ou presque rien aux déclarations quintessenciées des philosophes, le jeune homme sorti de l’école normale primaire se sent singulièrement plus à l’aise lorsqu’on lui demande de fabriquer des « âmes républicaines » ou des bulletins de vote républicains, que lorsqu’on l’érigé en maître de morale. Au moins, dans cette besogne politique, la neutralité n’a-t-elle pas besoin d’être rigoureusement observée : son devoir, sa raison d’être, sont, au contraire, de n’être point neutre. « L’instituteur, écrit M. Payot, doit, qu’il le veuille ou non, prendre parti dans les grandes questions essentielles qui divisent la société contemporaine, c’est-à-dire dans les questions religieuses, politiques et sociales. Vivant au milieu des parens de ses élèves, il ne pourra se réfugier dans la neutralité, qui n’est possible qu’aux intelligences et aux activités nulles. » Voilà qui est conforme aux dispositions du jeune