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leur reconnaître le droit à une pensée originale, le droit à des convictions, pour comprendre qu’en voulant faire de ces jeunes gens, tout ensemble, les fidèles et les pasteurs d’une morale uniforme, enseignée sur tout le territoire, on soumettait, parmi eux, les esprits indépendans à une contrainte presque aussi gênante, qu’au temps où ils étaient associés, légalement, à l’enseignement du catéchisme. Lorsqu’en 1886, dans le Bulletin municipal de la Ville de Paris, M. Alphonse Humbert écrivait qu’il existe une foule de morales particulières et alléguait cette variété même pour rejeter l’enseignement de la morale à l’école primaire, il parlait peut-être en ami de la vraie liberté.

Mais rien ne pouvait empêcher l’État de poursuivre l’expérience : l’État maintint, entre les mains de ses instituteurs, le sceptre d’une prétendue royauté morale ; ceux d’entre eux qui, sans esprit de zèle obséquieux, ne songeaient qu’à bien faire leur besogne, ne laissèrent point de le trouver pesant. On en eut une preuve, qui fit du bruit, dans le rapport de M. Lichtenberger, en 1889. Des Landes et de la Creuse, de l’Yonne et de l’Indre, on écrivait au doyen de la Faculté de théologie protestante que la foi et la conviction manquaient aux maîtres d’école, et qu’ils exerçaient sans enthousiasme ni plaisir le sacerdoce de professeurs de morale. On constatait à La Flèche que « les vieux maîtres étaient excellens, » et que « les jeunes, plus savans, exerçaient une action moindre ; » ailleurs, que les institutrices réussissaient mieux que les instituteurs ; et l’on ne pouvait se défendre de quelque dépit en constatant que ces humbles pédagogues avaient, comme docteurs de morale, une action d’autant plus efficace qu’ils avaient eux-mêmes vécu, grâce à leur âge ou grâce à leur sexe, dans un plus long et plus assidu contact avec l’autre morale, la vieille, celle qu’on s’était piqué de supplanter.

Les tâtonnemens étaient innombrables ; et la préoccupation constante, unanime, de remplacer l’enseignement confessionnel ne suffisait point à guider et à grouper les bonnes volontés. À Périgueux, à Bourganeuf, on souhaitait, conformément au vœu qu’émettait, en 1889 même, le convent maçonnique, un catéchisme de morale, par demandes et par réponses, analogue à ceux du clergé, dont « la longue domination montre quel procédé il faut employer ; » ailleurs, au contraire, on soutenait que la vie même de l’instituteur pouvait et devait être une leçon de morale, et que cela suffisait. « Dans 60 écoles pour 100 de ma circonscription,