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aux théologiens l’exposé de cette thèse, s’en scandalisait et la faisait siffler. On eût dit qu’il concevait l’Évangile de l’école nouvelle à la façon d’un contre-Évangile. Et c’était assez, certes, pour susciter une agitation, même pour la prolonger ; mais c’était trop peu pour fonder une éthique ; en prenant exactement le contre-pied de la morale confessionnelle, on obtient malaisément un système de morale ; et, pour la bonne volonté des maîtres d’école, les enseignemens de M. Paul Bert étaient une lumière insuffisante. Ce n’est pas tout de s’insurger ; il faut se définir, et la jeune morale s’insurgeait avant d’exister… Ses insurrections ambitieuses n’étaient rien plus que des provocations stériles.

Il fallait qu’elle fût une, que partout elle fût la même : ainsi l’exigeait l’esprit de la loi ; ainsi l’exigeait la philosophie positiviste, dont s’inspiraient beaucoup de nos législateurs, et qui rêvait l’unité de tous les enfans du peuple sous l’hégémonie d’une même doctrine laïque et d’une même morale laïque[1]. Ces exigences étaient déçues : là où l’on avait espéré l’unité, on ne trouvait que le chaos. Dans certaines écoles, on se taisait sur Dieu ; dans quelques autres, on parlait de Dieu à propos de la morale, mais d’une façon tout épisodique ; dans d’autres encore, qui se faisaient rares, on continuait de parler de morale au nom de Dieu. Cette incorrigible variété, qui donnait aux groupes de droite et de gauche le droit d’être alternativement mécontens, était d’autant plus grave, qu’elle apparaissait comme le symbole d’une irréductible antinomie. D’une part, au nom du positivisme, et pour éviter qu’il y eût deux Frances, on souhaitait entre les maîtres, et partant entre les écoliers, une stricte uniformité d’esprit, de tendances, de programme, nous allions dire de conscience ; et, d’autre part, on affichait en lettres éclatantes les termes séducteurs d’émancipation et de liberté. Si les champions du vœu Pochon croient aujourd’hui rétablir l’unité de l’âme française en imposant à tous les jeunes gens la rhétorique et la philosophie universitaires, ils doivent, pour être logiques, rétablir l’unité de l’enseignement philosophique ; mais nos professeurs actuels de philosophie accepteraient-ils d’enseigner l’antique déisme s’ils sont Kantiens, ou le positivisme s’ils sont déistes ? Assurément non. Il eût suffi, il y a vingt ans, de tenir en estime l’intelligence des instituteurs et de

  1. Il faut lire le livre si pénétrant de M. Thamin : Éducation et positivisme (Paris, Alcan, 1892. pour avoir l’intelligence des conceptions positivistes qui sont à l’origine des lois scolaires.