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II

La nécessité où croyait être l’école de s’opposer à l’Église fit une première victime : Dieu lui-même. Son nom ne figura point dans les lois scolaires : ouvertement, par la grande porte, on l’évinça de la bâtisse nouvelle, aménagée pour la génération future. Le Conseil supérieur, chargé d’élaborer les programmes, réintroduisit Dieu par une porte de derrière et donna tout de suite à cet hôte auguste l’impérieux prestige d’un créancier : il fut entendu qu’on enseignerait aux enfans « les devoirs envers Dieu. » Ainsi les lois signifiaient à Dieu son congé, et les programmes, au contraire, toléraient, non point seulement son existence, mais ses exigences.

Il y eut là une gêne pour le pauvre instituteur, et cette gêne dure encore. Un philosophe spiritualiste ou un théologien scolastique peuvent, dans des systèmes savamment échafaudés, marquer le point d’arrivée de la raison humaine livrée à ses propres forces, et proposer un certain concept rationnel de Dieu, dont le philosophe se contentera peut-être, et que le théologien voudra certainement compléter. Mais on ne peut faire que, dans le commun d’un peuple dont une longue hérédité chrétienne a modelé les cerveaux et les consciences, le nom de Dieu, quelque vague qu’on lui conserve, et quelque effort qu’on fasse, si l’on ose ainsi dire, pour le vider, n’évoque pas un certain nombre d’idées empruntées aux religions positives : bon gré, mal gré, pour la foule, il y a une association, à peu près indissoluble, entre la notion de Dieu et la chaire du prêtre. C’est cette indissolubilité que pressentait le législateur, lorsqu’il infligeait à Dieu l’hostilité du silence ; les auteurs des programmes, esprits plus déliés, mais moins proches de la réalité, risquèrent, en réintroduisant la métaphysique, de compromettre ce qu’on appelait la « laïcité. »

De là, la perpétuelle tension de rapports entre Dieu et l’école républicaine : les manuels scolaires, imitant parfois le courage de Robespierre, osaient rendre hommage à cet être suprême ; mais l’un des hauts fonctionnaires de l’enseignement primaire parisien, « laïcisant » Jean de La Fontaine, glissait dans l’une de ses fables cette correction cacophonique :


Petit poisson deviendra grand
Pourvu quel’on lui prête vie.