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fut pas toujours pleinement respectée : depuis 1713, la côte de Terre-Neuve s’était peuplée ; les Anglais avaient commencé à se diriger vers ces parages, et les indigènes, devenus plus riches, avaient vu dans la pêche un moyen de réaliser des profits : ils avaient donc disputé à nos compatriotes le droit de jeter des filets dans les eaux de l’île, et des querelles souvent vives s’en étaient suivies. Aussi, lorsque, le 3 septembre 1783, la France et l’Angleterre signèrent le traité de Versailles, décidèrent-elles de « prévenir les querelles qui avaient eu lieu jusqu’à présent entre les deux nations française et anglaise (art. 5). » Le but poursuivi par la convention indique nettement la portée de celle-ci. Le seul moyen d’éviter les querelles était de faire la part aux ambitions respectives ; il ne pouvait assurément consister dans l’établissement d’une concurrence sur une même partie de mer. Il fallait qu’en fait aussi bien qu’en droit, les compétiteurs fussent séparés. C’est effectivement de la sorte que l’on procéda. Le traité de 1783 divisa les côtes de Terre-Neuve en deux tronçons : la France « consentait à renoncer au droit de pêche qui lui appartenait, en vertu de l’article 13 du traité d’Utrecht, depuis le cap de Bona-Vista jusqu’au cap Saint-Jean ; » seulement, en retour, l’Angleterre reconnaissait aux Français la faculté de pêcher non seulement depuis le cap Saint-Jean jusqu’à la pointe Riche, — ce que leur accordaient déjà les traités précédens, — mais encore jusqu’au cap Haye ; elle leur donnait dès lors, comme compensation, une étendue de côtes au moins « gale à celle qu’elle attribuait à ses propres sujets. Pourquoi cette extension de la limite de pêche ? C’est apparemment qu’avant 1783, les Français ne partageaient pas avec les Anglais le droit de pêche du cap Bona-Vista à la pointe Riche. Si, en effet, ils avaient dû subir entre ces deux points la concurrence britannique, il eût suffi, pour sauvegarder leurs intérêts, de leur reconnaître un droit propre seulement sur la moitié de la côte délimitée en 1713 et en 1763 : la propriété exclusive de la moitié équivalant à l’indivision du tout. Attribuer aux Français un droit dominant sur une partie au moins égale à celle qu’ils possédaient d’après les traités antérieurs, c’était dire que sur cette dernière, du cap Bona-Vista à la pointe Riche, il-avaient déjà ce droit. Deux points ressortent donc clairement du traité de 1783 : l’assiette du droit de pêche appartenant aux Français était modifiée, à leur avantage, et, dans la partie qui leur était assignée, ils avaient toujours un droit de pêche exclusif ; les Anglais obtenaient, de leur côté, un droit également