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vil pour l’or le plus pur ! Peut-être allait-elle se trouver en effet devant une de ces maîtresses de bas étage qui, justifiant tout au plus un caprice, retiennent quand même, grâce à leur astuce, à des philtres inavouables, à l’absence aussi de tout objet de comparaison, la proie qu’un instant de faiblesse a fait tomber dans leurs griffes.

— Oui, mais l’enfant ?…

Au moment même, un bruit se produisit dans le salon voisin, et sœur Saint-Arsène vint dire :

— Madame, il y a une jeune personne avec un petit enfant qui demande Madame. J’ai dit que je pensais bien que Madame, ayant fait fermer sa porte, ne recevrait pas. Je croyais Madame encore couchée, dit la sœur converse, évidemment stupéfaite. Faut-il renvoyer ?

— Y pensez-vous ? s’écria Mme d’Estève, comme si la pauvre sœur eût pu deviner. Priez cette personne d’attendre une minute.

Son cœur battait à l’étouffer. Deux fois, elle posa la main sur le rideau qui la séparait des nouvelles venues et, deux fois, cette main retomba. Elle ignorait absolument à quoi elle allait se résoudre, et la question cependant lui apparaissait grave comme une question de vie ou de mort. Une petite voix faible et fraîche, un gazouillis d’oiseau, parvint jusqu’à son oreille, tandis qu’une autre voix. ; mx intonations presque également enfantines, répondit-il très bas :

— Il faut parler français, chérie, papa l’aurait voulu ! Nous allons voir bonne maman.

Un silence suivit où Mme d’Estève crut sentir vibrer l’impatience, l’anxiété, l’attente. Elle avait le sentiment de tenir entre mains un double avenir, elle croyait entendre Guy lui dire :

— C’est la petite Marie, elle porte votre nom.

Et encore :

— Je veux qu’elle grandisse auprès de vous.

Affaiblie par la fièvre, par le manque de nourriture, elle avait à peine la force de faire un pas en avant, de soulever la lourde draperie. Quand elle s’y décida enfin, elle était certainement plus troublée que les deux abandonnées qui attendaient d’elle leur arrêt. Tout semblait s’agiter, se confondre, tournoyer sous ses yeux… Du seuil cependant, elle vit distinctement une petite femme très pâle sous le châle qui lui couvrait la tête et les épaules et où la neige, qui tombait en abondance, avait semé quelques