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Hélène suivait tous ses mouvemens ; elle la vit parcourir d’un œil égaré la seconde lettre qui, presque aussitôt, échappa de ses mains, tandis qu’avec un grand cri elle s’affaissait sans connaissance.

— Qu’arrive-t-il ? Ma mère ?…

Tout en s’élançant vers cette femme évanouie, Mme Hélène n’eut pas pour premier soin de la secourir. Elle ramassa d’abord l’enveloppe sur laquelle étaient écrits ces mots : « Pour être envoyée à ma mère aussitôt après ma mort, » et en tira la lettre suivante dont la date était assez ancienne déjà :

« Cette maudite fièvre m’a repris, je ne vous en ai jamais parlé pour ne pas vous inquiéter, mais il y a longtemps que ma santé décline. Dieu merci, Nita ne s’en aperçoit pas. C’est une enfant, elle me croit immortel. Et après tout, je ne me sens pas si malade, mais je suis dans un jour de noirs pressentimens. Pourquoi ? Cela ne s’explique pas. Peut-être mes dernières recommandations ne vous seront-elles pas envoyées de sitôt ; en tout cas, après les avoir écrites, je vivrai ou je mourrai plus tranquille. Chère maman, si je venais à manquer à ma femme, à ma fille, que deviendraient-elles ? Nita n’a pas de famille.

« J’ai idée que l’associé Yankee, actif, intelligent, mais rapace, qui m’a aidé à relever les affaires du ranch après plusieurs années mauvaises où je n’avais pu que m’endetter, ne sera pas tendre pour la veuve et pour l’orpheline. Il se fera la part du lion, il ne leur abandonnera que ce qu’il lui est impossible de leur ôter, — bien peu de chose. Là n’est pas cependant mon grand souci. Elles auront toujours du pain, mais le pain n’est pas seul nécessaire. Sans moi, Nita ne peut vivre. Il faut donc que vous lui continuiez ma tendresse, qu’elle soit votre fille d’adoption et que la chère petite qui porte votre nom, Marie, grandisse près de vous, sous votre souffle, avec vos leçons et votre exemple.

« C’est le dernier vœu d’un mauvais fils qui par cette Nita, qu’il vous confie, a été plus heureux qu’il ne le méritait, heureux à tous les momens, sans un nuage, sans une ombre… Je vais mieux déjà, m’étant déchargé de mes anxiétés ; je vais si bien que je ne sais plus pourquoi j’ai tracé cette espèce de testament à votre adresse. Il m’aura mis l’esprit en repos. Le voilà au fond d’un tiroir où il va dormir des années peut-être. Tout ce que j’aurai dans le cœur au moment où l’on ne peut plus dire, où il est trop tard, — repentir, reconnaissance, amour, tout est sous ce pli.