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bien aise de tenir Max un instant en tête à tête, loin des yeux de sa mère. Devant celle-ci, elle n’eût osé parler au jeune garçon de son père, comme elle le fit. Il était si bon cavalier, si charmant à cheval ! Des prouesses équestres de Guy, elle glissa vite à ses hauts faits de soldat. Avec une chaleur qui aurait dû être communicative : « Il y avait en lui, dit-elle, du héros… c’est pourquoi il s’est trouvé à l’étroit dans la vie… De là quelques erreurs chèrement payées, mais dont aucune n’était d’une âme ordinaire. Tu comprendras cela plus tard. En attendant, aime-le et prie pour lui. »

Ce dernier mot fit imperceptiblement sourire le polytechnicien futur, touché, dès les mathématiques préparatoires, par l’incrédulité scientifique.

À la façon méfiante, étonnée, dont il l’écoutait, Mme d’Estève avait compris d’ailleurs que son opinion était faite et qu’elle ne réussirait pas à la modifier. Non que leur mère eût jamais dit aux enfans de Guy d’Estève aucun mal de celui-ci : elle se taisait sur son compte avec beaucoup de convenance ; mais M. Sturm, persuadé, dans sa parfaite vulgarité, mélangée de bon sens robuste, que, si l’aventurier revenait un jour, ce serait pour leur donner de très mauvais conseils, les avait prémunis contre cette influence possible. Selon lui, il ne fallait jamais laisser travailler à vide la tête des enfans. Il avait donc livré de bonne heure à ces deux garçons, plus intelligens qu’enthousiastes, une partie de la vérité, leur faisant entendre qu’ils devaient tout ce qui leur restait à la mère qui les avait défendus contre un père prodigue, capable de dévorer jusqu’à leur dernier sou. La contre-partie, présentée par une grand’mère dont l’humeur romanesque les amusait toujours, et que sa quasi-pauvreté, son éloignement du monde, plaçait, au gré des petits-fils de M. Sturm, dans une situation inférieure ; la contre-partie qui, comme ils le disaient entre eux, péchait évidemment par la base, n’avait, en ces conditions, aucune chance de se faire accepter. Max écouta cependant avec une respectueuse patience.

— Grand’mère, demanda-t-il à la fin, d’un air de doute, croyez-vous que mon père se soit refait une fortune là-bas ?

La question était imprévue.

— Dans nos lettres, répondit-elle, dédaigneuse autant qu’attristée, nous parlons de tout autre chose que d’argent, mais j’ai lieu de croire pourtant que votre père est bien loin d’être riche.