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Le premier avait l’air d’un conspirateur patibulaire, le second d’un Imperator. Les enjeux grossissaient, et un de mes voisins, un métis que je n’avais pas encore remarqué, et dont la tête rase, la face glabre, les yeux faux, la bouche vile, faisaient un type d’affranchi du Bas-Empire, vida sa bourse sur le tableau du coq noir en criant : « Je parie pour l’Indien ! » Les deux adversaires furent lâchés : autour d’eux, les respirations s’arrêtèrent. Les coqs s’observaient, l’œil sanglant, le col allongé, la queue vibrante, et, brusquement, le noir plia les jarrets, courba son jabot jusqu’à terre sans cesser pourtant de fixer son ennemi. Ce dernier, les plumes droites comme les dards d’un porc-épic, plongeait sur lui, le bec en cisailles. Après un moment d’attente, une tempête de sifflets assaillit le piteux combattant, qui ne parut pas s’en émouvoir. Comme la situation menaçait de s’éterniser, on les reprit, on les excita derechef ; mais à peine lancés l’un contre l’autre, le coq noir retomba à genoux, sans doute hypnotisé par le panache et les chamarrures de son rival. Le public l’accablait de quolibets et de rires. Ceux qui avaient parié pour lui vociféraient des injures. Et l’on applaudissait le coq vermeil, qui. dégoûté de tant de couardise, avait rabattu ses plumes et se pavanait devant les spectateurs. « Ce n’est pas ma faute, disait-il, je ne demandais qu’à me battre. Mais que faire contre un tel lâche ? Ne serait-ce point souiller ma gloire que d’exécuter un ennemi indigne de moi ? Jugez-en, nobles seigneurs. » On les ressaisit une troisième fois, on aiguisa leurs becs l’un sur l’autre, on rattacha l’éperon du misérable, on le flatta en sifflant entre les dents ; mais, dès qu’ils furent abandonnés à eux-mêmes, le coq noir s’aplatit de nouveau, l’œil toujours dardé sur l’Imperator. Celui-ci s’approcha pour en finir, puisqu’on y tenait absolument ; il crispa ses ergots, tendit la tête, et, soudain, saisi de panique, tourna sur lui-même et se sauva comme une perdrix dans un sillon. Ce fut du délire, une mêlée indescriptible, une grêle de cannes, de chapeaux, de foulards, de paquets de cigarettes. Les spectateurs se culbutaient d’ivresse. L’endroit de la cage réservé aux exploits des volailles fut envahi par des gens qui se fendaient en grands écarts ou qui marchaient la tête en bas, les pieds en l’air. Et mon métis se mit à crier d’un mauvais rire : Viva la España !


Lundi.

J’ai essayé de me procurer un plan de la ville et l’on m’a